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Compétence du juge des référés judiciaire et espèces protégées

La cour d'appel de Nîmes confirme l'incompétence du juge judiciaire pour connaître d'une demande de suspension de travaux réalisés en l'absence d'une dérogation au régime de protection des espèces.

DROIT  |  Commentaire  |  Biodiversité  |  
   
Compétence du juge des référés judiciaire et espèces protégées
Joséphine Jeanclos et Antoine Le Dylio
Avocats associés, Glaz Avocats
   

Dans le droit fil de la décision du 22 décembre 2023 de la Cour de cassation, la cour d'appel de Nîmes (1) confirme l'incompétence du juge judiciaire pour connaître d'une demande de suspension de travaux réalisés en l'absence d'une dérogation au régime de protection des espèces. À cette occasion, le juge des référés apporte des éclaircissements utiles sur la notion de prise de position de l'autorité administrative concernant le respect de ce régime juridique.

Dans l'affaire commentée, la congrégation religieuse de la Famille Missionnaire Notre-Dame a obtenu, le 12 décembre 2013, un permis de construire pour l'édification d'un complexe immobilier dénommé « Notre-Dame des Neiges », susceptible d'accueillir 3 500 pèlerins.

L'association pour l'avenir de la vallée de la Bourges est opposée à ce projet qui conduirait, selon elle, à la destruction de stations de Réséda de Jacquin, une espèce de plantes à fleurs protégée.

Avant de se tourner vers le juge judiciaire, les opposants ont engagé, sans succès, plusieurs recours devant la juridiction administrative (2) . Des plaintes déposées au pénal ont également été classées sans suite.

I.  Le contexte conflictuel autour du projet « Notre-Dame des Neiges »

Dans un contexte conflictuel, le préfet de l'Ardèche a, le 15 octobre 2020, ordonné par arrêté la suspension des travaux et mis en demeure la congrégation religieuse de déposer une demande de dérogation à la destruction d'espèces protégées dans un délai de dix mois, sauf à démontrer, au travers d'une étude environnementale complémentaire, l'absence de tout impact résiduel négatif du projet sur les espèces protégées présentes sur le site.

Saisi par la congrégation religieuse, le tribunal administratif de Lyon a rejeté les demandes de suspension de cet arrêté. Il a en effet considéré qu'aucun élément ne permettait de faire douter sérieusement des risques que la reprise des travaux comporterait pour plusieurs espèces floristiques ou faunistiques, dont la présence était avérée ou seulement potentielle sur le site du projet (3) .

Une étude environnementale complémentaire a finalement été réalisée à la suite de cette ordonnance. Cette étude concluait à l'absence d'atteinte au Réséda de Jacquin, sous réserve de la mise en œuvre de mesures d'évitement, de réduction, d'accompagnement et de suivi écologique visant à garantir une absence d'impact résiduel négatif significatif sur l'espèce.

C'est dans ce contexte que le préfet de l'Ardèche a pris un nouvel arrêté en date du 29 novembre 2022, abrogeant l'arrêté initial (4) .

II. Une reprise des travaux conditionnée à la mise en œuvre de mesures d'évitement

Aux termes de l'arrêté du 29 novembre 2022, le préfet a considéré que la poursuite des travaux n'était pas de nature à porter atteinte aux espèces protégées présentes ou potentiellement présentes sur le site du projet. Par conséquent, il a autorisé la reprise des travaux, sous réserve de la mise en œuvre notamment de mesures d'évitement et de suivi écologique.

Sans surprise, ce nouvel arrêté a été contesté par les opposants au projet, notamment dans le cadre d'un référé-suspension, rejeté en février 2023 au motif de l'absence de doute sérieux quant à la légalité de la reprise des travaux (5) .

À la suite d'un contrôle administratif de l'Office français de la biodiversité (OFB) en mai 2023, ayant permis d'identifier douze spécimens de Réséda de Jacquin, le préfet de l'Ardèche a, par un courrier du 28 septembre 2023 adressé à la congrégation religieuse, subordonné la reprise des travaux à la mise en défens des spécimens identifiés.

Dans un communiqué de presse du 19 octobre 2023, le préfet a finalement confirmé la reprise des travaux puis il a assuré, lors d'une conférence de presse, que « la proposition du pétitionnaire de mise en défens semble proportionnée et adaptée à la menace qui pèse sur la protection du Réséda de Jacquin ».

III. Le recours au juge judiciaire pour obtenir la suspension des travaux litigieux

N'ayant pu obtenir gain de cause devant les juridictions administratives, les opposants ont alors saisi le juge judiciaire pour obtenir, dans le cadre du référé conservatoire prévu par l'article 835 du code de procédure civile, la suspension des travaux jusqu'à l'obtention, par la congrégation religieuse, d'une dérogation au régime de protection des espèces pour le Réséda de Jacquin.

Le juge des référés du tribunal judiciaire de Privas s'est d'abord déclaré compétent et a fait droit à la demande de suspension des travaux (6) .

À l'inverse, le juge des référés de la cour d'appel de Nîmes, saisi par la congrégation religieuse, a décliné sa compétence : il a en effet estimé que le point litigieux relatif à la nécessité d'obtenir une dérogation pour le Réséda de Jacquin avait déjà été soumis à l'appréciation de l'autorité administrative et tranché par cette dernière.

IV. L'obstacle posé par le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires

Il est de jurisprudence constante (7) qu'en vertu du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, le juge judiciaire n'est pas compétent pour se prononcer sur un point qui le conduirait à interférer avec les pouvoirs de police spéciale conférés à l'autorité administrative.

En d'autres termes, le juge judiciaire ne peut ordonner une mesure qui contrarierait la prise de position de l'administration sur la question dont il est saisi.

Dans la décision commentée, le juge des référés fait application de ces principes vis-à-vis de la police administrative spéciale relative aux espèces protégées, qui figure aux articles L. 411-1 et suivants du code de l'environnement. Il estime ainsi que le juge judiciaire « ne peut substituer sa propre appréciation à celle que l'autorité administrative a apporté, dans l'exercice de ses pouvoirs de police spéciale relatifs aux espèces protégées. Il en découle que le juge judiciaire ne peut retenir sa compétence qu'en l'absence de décision de l'autorité administrative au titre de ses pouvoirs de police administrative sur le point dont il est saisi. »

La difficulté portait alors sur l'existence, ou non, d'une prise de position par l'autorité administrative concernant le Réséda de Jacquin.

En première instance, le juge des référés semblait s'être fondé sur l'absence de mention expresse, dans l'arrêté du 29 novembre 2022, de mesures d'évitement, de réduction, d'accompagnement et de suivi écologique consacrées spécifiquement au Réséda de Jacquin pour ordonner l'arrêt des travaux.

Dès lors, le juge des référés du tribunal judiciaire avait justifié sa compétence en retenant l'absence de prise de position formelle par l'administration à propos du Réséda de Jacquin.

Cette solution apparaissait contestable dans la mesure où l'arrêté, bien qu'il ne mentionnât pas expressément le Réséda de Jacquin, faisait référence aux études environnementales révélant la présence de « trois petites stations [de Réséda de Jacquin] comptabilisant une dizaine d'individus, de floraison tardive avec des critères distinctifs peu marqués. »

V. Un courrier du préfet ordonnant la mise en œuvre de mesures d'évitement est une décision administrative faisant obstacle à la compétence du juge judiciaire

Ce raisonnement n'a pas prospéré en appel. Ainsi, dans son ordonnance, le juge des référés de la cour d'appel de Nîmes apporte des précisions sur ce qui constitue une « prise de position » de l'autorité administrative emportant l'incompétence du juge judiciaire à connaître du point déjà soumis et tranché par cette autorité.

Après avoir écarté toute difficulté concernant l'arrêté préfectoral, le juge des référés précise que les courriers et les déclarations faites dans la presse doivent revêtir un caractère impératif ou révéler une décision pour être qualifiés d'actes administratifs porteurs de décisions de police administrative.

Le juge des référés considère qu'en l'espèce, l'arrêté du 29 novembre 2022, le courrier du 28 septembre 2023 et les déclarations du préfet de l'Ardèche visées dans les communiqués et tenues lors des conférences de presse révèlent des décisions faisant état d'une prise de position du préfet, au titre de l'exercice des pouvoirs de police administrative, sur la préservation du Réséda. En particulier, le courrier du 28 septembre 2023, qui impose la mise en œuvre de mesures d'évitement, est donc considéré comme revêtant un caractère impératif.

Par conséquent, le juge des référés conclut que « l'autorité administrative a pris, dans le cadre de l'exercice de son pouvoir de police de la protection des espèces protégées, toutes les décisions qu'elle estimait utile s'agissant de la protection du réséda de Jacquin sur le site [du projet litigieux], emportant ainsi l'incompétence du juge judiciaire à connaître du point déjà soumis et tranché par l'autorité administrative ».

Conclusion

Cette solution, qui fait écho à la décision du 22 décembre 2023 de la Cour de cassation (8) , ferme une nouvelle fois la porte du référé civil conservatoire pour obtenir la suspension de travaux portant atteinte aux espèces protégées en l'absence de la dérogation requise.

Sauf configuration administrative particulière, seule la voie du référé suspension (9) et du référé liberté (10) devant le juge administratif, lorsque les conditions sont réunies, demeure donc ouverte aux opposants souhaitant obtenir la suspension de travaux portant atteinte aux espèces protégées.

1. CA Nîmes, 8 févr. 2024, n° 23/035212. Outre les recours à l'encontre des arrêtés des 15 octobre 2020 et 29 novembre 2022, les opposants ont également contesté, sans succès, le permis de construire délivré pour la réalisation du projet (TA Lyon, 16 mars 2023, no 2103651 et CAA Lyon, 30 juin 2023, no 23LY01723).

3. TA Lyon, 27 mai 2021, n° 20091184. L'intervention de ce nouvel arrêté préfectoral du 29 novembre 2022 a privé d'objet le litige relatif à l'arrêté du 15 octobre 2020, porté en appel devant la cour administrative d'appel de Lyon, qui a donc prononcé un non-lieu à statuer (CAA Lyon, 13 déc. 2023, n° 21LY02599).5. TA Lyon, 21 févr. 2023, n° 2300765 : à la date du présent commentaire, le recours au fond est toujours pendant devant le tribunal.

6. T. corr. Privas, 6 nov. 2023, no 23/00307

7. V. par exemple, en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) : T. confl., 23 mai 1927, Consorts Neveux et Kohler c/ Sté métallurgique de Knutange, p. 589 ; plus récemment Cass. 3e civ., 21 déc. 2023, no 23-14.343, op. cit. et en matière d'antennes relais : T. confl., 14 mai 2012, C3848 : Lebon8. Cass. 3e Civ., 21 déc. 2023, op. cit.9. CJA, art. L. 521-110. CJA, art. L. 521-2

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