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Éolien flottant : l'heure de la prise de risque a sonné

Les investissements pour massifier l'éolien flottant se chiffrent en milliards et concernent toute la chaîne de valeur, des infrastructures jusqu'aux chaînes de fabrication et au raccordement des parcs. Un pari élevé dans un contexte incertain.

Décryptage  |  Energie  |    |  S. Fabrégat
Éolien flottant : l'heure de la prise de risque a sonné

Un appel d'offres (AO5) qui a tardé se concrétiser, des lauréats qui demandent une rallonge pour leurs fermes pilotes, des perspectives à long terme inexistantes en l'absence de programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE)… L'industrie de l'éolien flottant française semble aujourd'hui au milieu du gué. Une situation loin d'être unique, au regard de celle à l'international. Plusieurs projets ont été abandonnés face à l'envolée des coûts, d'autres tardent à se réaliser.

Dans des contextes économiques et géopolitiques incertains, la filière a donc plus que jamais besoin de sécurité. Car, si l'horizon de l'éolien flottant se situe plutôt à moyen et long terme, c'est aujourd'hui qu'il faut construire une chaîne de valeur et des infrastructures solides pour assurer sa compétitivité et son déploiement commercial. Avec, en promesse, des emplois, une chaine de valeur locale et une plus grande souveraineté.

Quelques chiffres

Aujourd'hui, près de 200 MW d'éolien flottant sont installés à l'échelle mondiale, dont 95 MW en Norvège et 78 MW au Royaume-Uni. Des chiffres qui pourraient évoluer rapidement.
En Asie (Corée, Japon, Chine), 500 MW devraient voir le jour dès 2025. En Europe, plusieurs gigawatts (GW) sont planifiés à l'horizon 2030 : le Portugal vise 3,5 GW sur trois sites, la Norvège 1,5 GW, l'Écosse 5,4 GW…. Les États-Unis et le Canada pourraient, quant à eux, ajouter plus de 20 GW à l'horizon 2035.
Pour rester dans la course, la France a lancé trois appels d'offres pour des parcs de 250 MW en Bretagne-Sud et en Méditerranée, et annonce quatre projets d'extension, représentant 2,5 GW à un horizon plus lointain.

« Les gouvernements doivent donner des calendriers clairs, avec des volumes élevés, des investissements dans la R&D et des infrastructures portuaires », a martelé Giles Dickson, directeur général de WindEurope, lors du salon consacré à l'éolien flottant (FOWT) organisé fin avril, à Marseille. Mais, face au manque de maturité de la filière, les États semblent encore frileux à se projeter dans des volumes et des calendriers ambitieux. Seule l'Écosse s'est jetée à l'eau en programmant 14 projets flottants au large de ses côtes.

L'heure du pari technologique

En France, les lauréats des trois fermes pilotes viennent de demander une indexation sur l'inflation pour le tarif d'achat qu'ils ont obtenu au moment de leur désignation, fin 2016 (240 € le mégawattheure), afin de faire face à l'envolée des factures de leurs fournisseurs.

À l'inverse, l'offre finalement retenue pour la ferme commerciale de 250 mégawatts (MW) en Bretagne-Sud s'engagerait sur un prix bien inférieur au plafond fixé par le Gouvernement (140 €/MWh), en proposant un tarif à 86,45 €/MWh. Une annonce laissant perplexes les observateurs, qui s'interrogent sur la viabilité du projet, lequel doit voir le jour d'ici à 2032, et sur les conséquences d'un prix aussi bas pour l'industrie locale, face à la concurrence asiatique.

Aujourd'hui, miser sur l'éolien flottant relève encore du pari technologique. Les premiers démonstrateurs ont permis de valider la faisabilité technique des flotteurs, les câbles dynamiques, etc. Mais il faut désormais démontrer la compétitivité future de la filière, dans un contexte rempli d'incertitudes. « Il s'agit de nouvelles technologies, de nouvelles tailles, de nouveaux marchés (Corée, Italie, Espagne…), qui doivent s'appuyer sur de nouveaux ports, de nouveaux fabricants, une nouvelle chaîne de valeur, dans un paysage ultra compétitif », résume Thomas Marty, chargé du développement commercial chez Principle Power, qui a conçu le flotteur WindFloat, équipant plusieurs démonstrateurs dans le monde.

Le défi du raccordement

Les promesses de l'éolien flottant sont en effet alléchantes : en s'affranchissant des limites de profondeur que rencontre l'éolien en mer posé, cette technologie offre l'accès à des gisements de vent plus forts, plus réguliers et évite les conflits d'acceptabilité et/ou d'usage. Mais, dans les faits, plusieurs verrous restent à lever pour que l'éolien flottant exprime tout son potentiel.

“ Il s'agit de nouvelles technologies, de nouvelles tailles, de nouveaux marchés, qui doivent s'appuyer sur de nouveaux ports, de nouveaux fabricants, une nouvelle chaîne de valeur, dans un paysage ultra compétitif  ” Thomas Marty, Principle Power
Le premier verrou, et non des moindres, est celui du raccordement, tant sur le plan des technologies que des coûts. En effet, éloigner les parcs des côtes alourdit la facture liée au réseau. « Nous avons besoin de planifier et d'investir au bon endroit », souligne Gro de Saint Martin, directrice du programme réseau en mer de RTE. Il faut également travailler à la bonne échelle pour mutualiser les raccordements, comme le font plusieurs pays en mer Baltique et en mer du Nord, souligne-t-elle.

Autre barrière, et de taille : les fortes tensions sur l'approvisionnement en composants pour les postes et les câbles, qui pourraient encore s'accentuer avec la demande internationale croissante. Plusieurs gestionnaires de réseaux de transport européens ont souligné les besoins de sécuriser les approvisionnements, indique d'ailleurs la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Ces tensions peuvent encore renchérir les coûts pour le raccordement des projets en mer, estimés par RTE entre 1 et 2 milliards d'euros par gigawatt (GW). Or, éloigner toujours plus les parcs alourdira la facture. RTE estime, par exemple, la hausse des coûts entre 30 et 50 millions d'euros tous les 10 mètres de profondeur supplémentaires pour l'installation d'un poste électrique en mer.

Enfin, la filière reste confrontée à des limites technologiques. RTE s'estime capable, pour l'instant, d'installer un poste électrique posé jusqu'à 100 mètres de profondeur et à 20 kilomètres de distance des côtes. « Nous avons des eaux profondes. Un jour, nous aurons besoin de sous-stations flottantes, une technologie qui n'existe pas encore. Nous participons à des projets de R&D (1) pour lever les verrous d'ici à 2035 », explique Gro de Saint Martin. Deux grands défis doivent être levés : développer des câbles dynamiques de très haute tension capables de suivre le mouvement de la sous-station flottante et adapter les équipements de très haute tension, notamment les convertisseurs.

Passer des prototypes à l'industrialisation

Le deuxième verrou repose sur les infrastructures. Passer des prototypes à l'industrialisation représente un pas énorme et vertigineux, au vu des coûts et des risques. La chaîne de valeur doit être construite de A à Z, des fabricants de composants à l'adaptation des ports, ce qui se traduit en milliards d'euros d'investissements. Les industriels ont besoin de garanties pour lancer cette phase.

« De nombreux projets pilotes ont permis de valider les technologies. Le grand défi désormais est d'avoir la chaine de valeur pour aller vers l'échelle commerciale, confirme Bertrand Jacquet, du cabinet de conseil financier Green Giraffe Advisory. Pour l'industrialisation des flotteurs, par exemple, il faut passer des prototypes aux lignes de production, ce qui requiert des investissements énormes, qui ne se feront pas sans garanties sur les projets et le marché. Même problématiques pour le transport, l'assemblage, la maintenance… »

Les premières fermes pilotes françaises, en cours d'installation, ont permis d'identifier les défis à relever. La logistique y occupe une place centrale. « 2023 a été une grosse année pour nous avec l'assemblage des flotteurs, de la turbine, l'installation des câbles et le remorquage des éoliennes jusqu'au site en mer », explique Christine de Jouëtte, directrice du projet Provence-Grand Large chez EDF Renouvelables (trois éoliennes de 8,4 MW installées à 17 kilomètres de Port-Saint-Louis-du-Rhône, dans les Bouches-du-Rhône). « Il faut avoir des plans d'exécution solides » pour réduire les coûts, analyse Séverine Baudic, directrice générale systèmes flottants chez SBM Offshore. « L'expérience de Provence-Grand Large a été sur ce point précieuse. Pour réduire les délais d'assemblage, qui ont un impact sur les coûts, tout se joue sur le design. »

L'avantage de l'éolien flottant repose sur le fait que l'essentiel des opérations de montage, mais aussi de maintenance, s'effectuent à terre ou à quai. « Nous avons opéré sur le quai Gloria [à Port-Saint-Louis-du-Rhône], partagé avec d'autres opérateurs, ce qui pose des difficultés. Les ports doivent être adaptés pour l'intégration des composants et toutes les activités à mener avant le remorquage sur site. Il faut des espaces réservés, sans coactivités », estime Christine de Jouëtte. Un point de vue confirmé par Giles Dickson, de WindEurope, qui juge celui de Port-la-Nouvelle « exemplaire ».

Le port de Fos-Marseille prévoit lui aussi de s'adapter à la massification de l'éolien flottant, en ciblant le marché méditerranéen, de la Grèce au Portugal. « C'est un changement d'échelle majeur. Le plus gros porte-conteneurs paraît petit par rapport à une turbine flottante, illustre Rémi Constantino, chargé du projet. Notre ambition est de permettre l'ensemble de l'activité intégration, assemblage… pour un rythme de 25 flotteurs et 25 éoliennes par an. Le hub d'intégration mobiliserait 35 hectares ; idem pour la construction des flotteurs. Le principal défi, c'est la place. Les coûts sont énormes, nous étudions plusieurs modèles de financement, mixant fonds publics et fonds privés. »

La question centrale du partage des risques

La question du partage des coûts et des risques est centrale pour que chaque maillon de la chaîne se lance. « Nous avons besoin de plans robustes et crédibles, et d'un partage des risques. Les gouvernements doivent également faire en sorte que les projets aboutissent dans les temps », analyse la représentante de SBM Offshore. « Cette question est primordiale pour abaisser les coûts, confirme Holger Grubel, responsable du développement de l'éolien offshore chez EnBW. Cela nécessite des engagements forts des États et un tunnel de projets à long terme. » Des contrats pour différence (CFD) ou des contrats d'achat direct (PPA) seront sans doute clés pour financer les projets, souligne l'expert.

« La question de qui prend le risque de l'inflation entre la désignation des lauréats et la construction des projets est essentielle », souligne Sybille Grandgeorge, experte du financement de projets industriels chez Natixis. En France, mais aussi aux États-Unis, des discussions sont menées pour résoudre les difficultés actuelles liées à la hausse des coûts d'investissements et d'inflation sur la chaîne de valeur. « Il faut garder en tête le long terme. L'éolien posé aussi subit l'inflation », indique la banquière.

Pour Denis Matha, chef de département éolien flottant au cabinet de conseil et d'ingénierie Ramboll, « la filière a aussi besoin de partage des connaissances et de discussions. Aujourd'hui, elle est plutôt axée sur les innovations et leurs propriétés ». Et de suggérer la création d'une alliance industrielle européenne, comme il en existe désormais sur les batteries ou le solaire. « L'innovation est intéressante, mais nous avons besoin de standardisation pour sécuriser l'investissement et l'industrialisation », confirme Sybille Grandgeorge.

1. Notamment le projet Rhodé, mené avec les Chantiers de l'Atlantique, Grid Solutions, Nexans, Supergrid Institute, France Energies Marines et Open-C

Réactions1 réaction à cet article

Tout ça sent l'improvisation, une volonté de pure politique "hors sol" associée à un lobbying agressif irresponsable. 240 €/MWh est sans doute proche de la réalité, s'appliquant à ce qui reste clairement à un stade prototypique, et encore ça ne recouvre pas ce que RTE va devoir débourser pour le raccordement et le renforcement des réseaux (cf. sa récente enquête pour implorer 100 G€). 85 €/MWh est clairement irréaliste mais est étonnamment proche du coût annoncé pour l'EPR2, ça sent le bidouillage. Dans tous les cas, le gouvernement se lance dans une nouvelle opération "quoi qu'il en coûte" que clairement le pays n'a plus les moyens de supporter, donc aux dépens des solutions pragmatiques. Avec en arrière plan la menace de l'installation de dizaines de GW intermittents sans solutions de back-up programmées, qui font courir des risques majeurs à la stabilité de fourniture au niveau européen global.

dmg | 17 mai 2024 à 16h03 Signaler un contenu inapproprié

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