Rendue publique le 15 décembre dernier au cours d'un colloque organisé par l'Institut national de la recherche agronomique (Inra), une expertise de l'Inra et de l'Institut de recherche pour l'ingénierie de l'agriculture et de l'environnement (Cemagref) sur les pesticides, encadrée par le ministère en charge de l'agriculture et le ministère de l'écologie et du développement durable, dresse un état des lieux des connaissances sur lesquelles pourraient se fonder des actions visant à réduire le niveau actuel d'utilisation des pesticides et leurs impacts environnementaux.
Selon l'étude, réalisée par un collectif d'une trentaine d'experts de l'Inra, du Cemagref, de l'IRD et du BRGM, spécialistes de différentes disciplines, seule une strategie de «ruptures» avec cinquante ans de pratiques d'agriculture intensive pourrait permettre de limiter l'usage des produits phytosanitaires en France.
L'expertise fait le point sur les connaissances et les données disponibles concernant l'utilisation agricole des pesticides, les contaminations des différents compartiments de l'environnement, les impacts sur les organismes non-cibles et les écosystèmes.
Pour les eaux, les dispositifs d'observation ont montré une contamination d'une proportion élevée des sites de mesure, indique l'étude qui souligne notamment que les pesticides ont nécessairement des effets sur les organismes non-cibles et les écosystèmes.
L'étude note aussi que la mise en évidence des effets biologiques des pesticides sur le terrain est difficile : la faiblesse des dispositifs de surveillance actuels ne permet de détecter qu'un faible pourcentage des perturbations, les effets observés sont souvent peu spécifiques et peuvent résulter de l'action conjuguée de divers facteurs (pollutions multiples, dégradations physiques des milieux...). On dispose donc rarement de l'ensemble des données nécessaires pour établir les relations de causalité entre une utilisation de pesticides, une contamination caractérisée du milieu et un impact environnemental, ajoute le rapport.
L'expertise examine également les voies de dispersion des pesticides dans l'environnement, ainsi que les techniques et conditions d'application des traitements, les modes de conduite des cultures et les aménagements de l'espace agricole susceptibles de réduire cette dispersion.
Elle analyse la logique et les limites des systèmes de production intensifs et spécialisés, qui favorisent de fait le développement des bio-agresseurs (adventices, maladies et ravageurs). Ces risques sont d'autant plus forts que le bio-agresseur rencontre, sur de vastes surfaces et de manière continue dans le temps, des conditions favorables à son développement,estime l'étude.
L'expertise examine ensuite, pour différents types de production (grandes cultures, productions légumières et cultures pérennes), les techniques non chimiques de contrôle des populations de bio-agresseurs, les conditions de leur efficacité, et l'intérêt des stratégies fondées sur la prévention, c'est-à-dire sur des systèmes de culture qui réduisent les risques phytosanitaires.
Elle étudie également les conditions économiques qui renforcent actuellement la dépendance des systèmes de production vis-à-vis des pesticides, et la nécessité de mettre en place une politique volontariste si la société souhaite une réduction significative de l'emploi des pesticides sur l'ensemble du territoire et une protection particulière des zones les plus sensibles aux contaminations. Elle envisage enfin les différents instruments réglementaires et économiques mobilisables pour élaborer une telle politique.
L'étude préconise l'instauration d'une taxation des pesticides, à un taux suffisamment élevé pour être dissuasif. Au Danemark, pays engagé depuis longtemps dans une stratégie de réduction des traitements chimiques, la taxe est progressivement passée de 3% dans les années 90 à 33% pour les fongicides et herbicides et à 54% pour les insecticides.
Une Directive cadre sur les pesticides (DCP) est actuellement en cours d'élaboration. Elle sert déjà de guide, au niveau national, à un Plan interministériel de réduction des risques liés aux pesticides, qui devrait être rendu public prochainement.