Pourtant, la solution ne consiste pas à supprimer les camions mais bien de les intégrer dans un schéma global défini à l'échelle du pays voire de l'Europe : utiliser le ferroviaire ou le fluvial pour des trajets longues distances et bénéficier des avantages de la route pour les débuts et fins de parcours. Mais, si tous les professionnels du secteur semblent d'accord sur ce point, sur le terrain les infrastructures manquent : interopérabilité des réseaux ferroviaires européens difficile, fiabilité douteuse, conflictualité importante à la SNCF, équipements obsolètes, réseau fluvial limité et vétuste… Au final, les acteurs économiques vont au plus pratique et au moins coûteux c'est-à-dire la route. Résultat : la part de marché du transport routier de marchandises en France atteignait 85% en 2005.
Face à ce constat, la fédération d'associations France Nature Environnement s'est penchée sur la question et a sollicité l'avis des principaux acteurs du secteur (transporteurs, ministères, fédération des associations d'usagers des transports, etc) et de nos voisins européens. Après plusieurs mois de travail, elle a établi une liste de propositions visant à construire une politique soutenable des transports de marchandises en France. Convaincue que ce qui rend le transport routier si compétitif est qu'il ne paie pas à leur juste valeur les coûts externes qu'il engendre sur l'environnement, le territoire et les infrastructures qu'il utilise, la fédération France Nature Environnement propose de mettre en place une écoredevance proche de ce qui se fait déjà en Suisse ou en Allemagne. Il s'agit d'une redevance kilométrique dont le montant varierait en fonction de différents critères propres au véhicule : nombre d'essieux, poids total avec charge, normes Euros… Les montants de cette redevance seraient affectés à l'entretien du réseau routier et à l'amélioration des infrastructures ferroviaires et fluviales.
Pour mettre en place cette redevance, la FNE propose de se baser sur la nouvelle directive Eurovignette de juin 2006. Bien que, selon la FNE, cette nouvelle directive n'intègre pas tous les dispositifs préconisés dans le livre blanc sur les transports de la commission européenne, elle propose de réelles avancées et facilite la mise en place de l'ecoredevance.
La version de 1999 de la directive 1999/62 dite directive Eurovignette a donné, à chaque Etat membre la possibilité de maintenir ou d'introduire des droits de péages et/ou des droits d'usage des infrastructures pour les poids lourds limités au Réseau TransEuropéen de Transports (RTE-T) et au franchissement de ponts, tunnels et cols de montagne. Dans sa nouvelle version, la directive complète le dispositif. Elle limite désormais à 13 % les rabais pour usage fréquent effectués par les exploitants d'autoroute en faveur des entreprises de transport. Elle augmente également la possibilité de différencier les péages en tenant compte de critères environnementaux. De plus, les États Membres sont autorisés à mettre en place une surtaxe de 15 %, voire 25 %, sur les infrastructures dans les zones montagneuses.
Sachant que cette nouvelle directive Eurovignette doit être transposée en droit français dans les deux ans à venir, la FNE appelle les politiques français à être ambitieux. Elle demande la mise en place de péages à l'ensemble des autoroutes intégrées dans le réseau européen qu'elles soient concédées ou non, la suppression des réductions tarifaires, des tarifs différents selon les normes euros des véhicules, l'augmentation des péages en zones sensibles, l'investissement de la recette dans le ferroviaire et le fluvial, etc.
Néanmoins, la directive n'intègre toujours pas les coûts externes pour le calcul des péages. Malgré de vives négociations entre les différentes parties prenantes, le montant des péages ne peut toujours pas prendre en compte les coûts liés à la pollution ou au bruit qui sont, encore maintenant, à la charge des collectivités. Pourtant, le Livre Blanc européen de 2001 entendait clairement intégrer ces coûts, afin d'instituer des règles de concurrence plus équitables entre les modes de transports. Mais, la directive prévoit seulement qu'un modèle d'évaluation de ces coûts sera présenté dans les deux ans à venir. C'est pourquoi, la FNE demande qu'on s'y prépare dès maintenant en envisageant une remise en cause des différentes taxes qui pèsent déjà sur les transporteurs (taxes à l'essieu, TIPP, taxe professionnelle) et une harmonisation européenne afin de mettre en place un système de redevance simple, équitable et efficace.
Par ailleurs, bien consciente de la concurrence féroce qui se joue dans le secteur des transports en Europe, la FNE appelle à une harmonisation des critères sociaux dans le métier et à un meilleur respect de la réglementation (heures supplémentaires, temps de repos…).
Toutes ces dispositions n'ont qu'un seul but : remettre les différents modes de transport sur un pied d'égalité en faisant payer au juste prix l'utilisation du transport routier que ce soit par les transporteurs français ou étrangers. Selon la FNE, l'écoredevance n'est qu'une première étape. Elle doit permettre de dégager des recettes en faveur des autres modes de transports afin de pouvoir proposer des alternatives efficaces et rentables aux acteurs désireux de modifier leur logistique.
Dans son action, la FNE est appuyée par de nombreuses régions françaises qui ont récemment émis des vœux politiques et autres motions afin de faire remonter le débat sur le transport routier de marchandises au niveau national. À ce jour, 11 régions* ont exprimé leur volonté d'un rééquilibrage entre les modes de transport, en faveur de ceux plus respectueux de l'environnement. D'ailleurs, l'Alsace va faire l'objet d'une expérimentation pour une durée de cinq ans : les véhicules utilitaires dont le poids total en charge est égal ou supérieur à 12 tonnes pourront être soumis, lorsqu'ils emprunteront des routes ou portions de routes d'usage gratuit à proximité d'axes autoroutiers à péage situés ou non sur le territoire français, à une taxe non déductible dont le montant est compris entre 0,001€ et 0,015€ par tonne et par kilomètre. Toutes les modalités de l'expérimentation seront fixées par décret à la fin de l'année 2006.
*Île de France, Pays de la Loire, Rhône Alpes, Nord Pas de Calais, Lorraine, Languedoc Roussillon, Provence Alpes Côtes d'Azur, Alsace, Basse-Normandie, Centre et Poitou-Charentes.