Oui, la mousson existe aussi en Afrique, pas seulement en Inde. C'est même, pour les pays du Sahel, le seul épisode de pluie de l'année, souligne Jean-Luc Redelsperger, directeur de recherche au Groupe d'étude de l'atmosphère météorologique (CNRS, Météo-France), et responsable du programme scientifique de l'Analyse multidisciplinaire de la mousson africaine (AMMA) qui vient d'être présenté à Paris, à l'occasion de son lancement par les organismes français impliqués*.
Aujourd'hui, on parle beaucoup plus des risques, indéniables, qui pèsent sur la forêt amazonienne que des dégâts au Sahel,, ajoute-t'il.
C'est pourquoi, l'objectif de ce programme auquel participe plus de 60 laboratoires européens, africains et américains réside dans la prévision de la mousson et de ses impacts sur la vie des populations (ressources végétales, les ressources en eau et la santé). Ce programme est financé principalement par la France (14 M d'euros hors salaires) et par l'Union européenne (12 M d'euros au total) dans le cadre du 6e PCRD.
La mousson africaine commence en juin et dure jusqu'au mois de septembre. Lorsque le continent se réchauffe en été, il attire l'air qui s'est chargé en humidité au dessus du golfe de Guinée. Ce flux d'air humide remonte vers le nord et une fois au-dessus du continent, il se transforme en systèmes orageux nommés lignes de grain. Ces systèmes se déplacent d'est en ouest, arrosant toute la région avant d'arriver sur l'Atlantique, où ils se transforment parfois en cyclones. Les 10 à 20 systèmes orageux de la saison forment des rivières qui coulent pendant quelques heures, voire quelques jours. Mais elles n'atteignent jamais les fleuves et terminent en mares. Pour le Sahel, c'est le seul épisode de pluie de l'année. Toutes ses ressources en eau en dépendent, ainsi que ses ressources végétales naturelles et cultivées. Le reste de l'année, le soleil ne réchauffe pas assez le continent pour déclencher le flux d'air humide à l'origine de la mousson. L'atmosphère reste « inerte ». Le problème, c'est que ce phénomène ne se répète pas à l'identique tous les ans. Les conditions climatiques humides des années 1950 et 1960 ont cédé la place à des conditions beaucoup plus sèches, à partir des années 1970. Le déficit de précipitations atteint 30 %, et le débit de certains fleuves, comme le Niger, a diminué de 60%», précise le chercheur.
Les scientifiques soupçonnent le réchauffement des eaux du proche Atlantique et le changement d'état des surfaces continentales (déforestation et utilisation des sols) d'être les causes de ces sécheresses.
Ces phénomènes ont fini par rendre la mousson africaine particulièrement irrégulière. Or la pénurie d'eau est dramatique pour les agriculteurs. S'ils plantent,
notamment leur mil trop tôt, et que les premières pluies n'arrivent pas, les graines sont perdues, explique M. Redelsperger.
Aujourd'hui, les connaissances des scientifiques comportent de grosses lacunes. Certains paramètres clefs ne sont pas enregistrés de façon continue. Les modèles numériques reproduisent mal les cycles journaliers, saisonniers et annuels des précipitations sur l'Afrique de l'ouest et l'Atlantique tropical. D'avantages d'observations s'avèrent nécessaires pour bien comprendre les interactions entre l'atmosphère, la biosphère et l'hydrosphère, qui gouvernent la dynamique et la variabilité de la mousson africaine. AMMA va tenter ainsi de mieux comprendre ces fluctuations, dans une zone cruciale pour l'équilibre climatique de la planète. Une amélioration des modèles climatiques globaux et météorologiques est également espérée.
En effet, la mousson africaine joue un rôle important dans le système climatique de notre planète, l'Afrique tropicale étant l'une de ses principales sources de chaleur d'origine continentale. Par exemple, le niveau des précipitations au Sahel est lié à la fréquence des cyclones sur l'Atlantique. La mousson peut également avoir des conséquences indirectes sur le climat de régions plus éloignées. L'Afrique de l'ouest émet une grande quantité de gaz à effet de serre naturels (gaz carbonique, vapeur d'eau). C'est aussi la principale source d'aérosols minéraux sur notre planète (par exemple la poussière rouge qui se dépose parfois jusque dans le sud de la France). Du fait de ses émissions d'origine biologique et anthropique (feux de savane et de forêt) et du transport vertical et horizontal de ces gaz par la mousson, l'Afrique de l'ouest est considérée comme une région critique pour la compréhension de la chimie atmosphérique globale.
AMMA comportera trois types d'observation. Les observations «longues», qui révèleront les variabilités interannuelles sur une dizaine d'années. Des stations au sol mesureront la pluviométrie, les paramètres hydrologiques, les aérosols, les émissions de gaz et la végétation. D'autres observations viendront d'ici 2007 avec des ballons-sondes qui mesureront notamment la température, l'humidité de l'atmosphère et le vent, ceci afin d'étudier la variabilité saisonnière.
Grâce à des bouées et des bateaux, des mesures de température, de salinité et de courants effectués sur l'océan seront organisées. Enfin, une période d'observation spéciale en 2006 permettra le suivie de la mousson par avions (ATR 42 et Falcon équipés d'un Lidar) et même par satellites.
AMMA constitue également un défi humain puisque toutes les disciplines sont représentées (océanographes, spécialistes de l'atmosphère, de la végétation, hydrologues, agronomes, ou encore chercheurs en santé) et tous ces chercheurs ne parlent pas avec le même vocabulaire
* Le programme AMMA est dirigé par un comité inter-organismes regroupant le CNES, le CNRS-INSU, l'Ifremer, l'IRD, Météo-France, les Ministères des relations extérieures et de la recherche. Il est aidé dans ses choix scientifiques par le comité scientifique de l'action concertée, crée dans le cadre d'AMMA, et par des commissions spécialisées de l'INSU (Océan/atmosphère et Surfaces et interfaces continentales). La France contribue à AMMA dans la continuité des programmes de recherche nationaux sur le climat et l'environnement (PNCA, PATOM, PNEDC, ECCO,…)
Le CNES contribue à la base de données spatiales, l'instrumentation aéroportée et les ballons.
Le CNRS-INSU assure la mise en œuvre des moyens lourds et instruments, des avions en liaison avec le CNES et Météo-France et les suivis à long terme par les Services d'observation de l'INSU.
L'IRD est responsable des interventions scientifiques et de la logistique sur le terrain. Les centres IRD en Afrique assureront le lien avec les partenaires africains.
L'Ifremer met en œuvre le navire océanographique l'Atalante, a en charge le déroulement des campagnes océanographiques et contribue également avec 20
bouées « provor » dans le cadre du projet Coriolis de surveillance de l'océan.
Météo-France participe aux campagnes de mesure par avion, aux radiosondages et assure la liaison avec les organisations météorologiques internationales.