Jean-Claude Juncker a été choisi le 27 juin 2014 par les dirigeants européens pour être le prochain président de la Commission. Le Parlement européen a confirmé ce choix le 15 juillet 2014. En novembre prochain, il succèdera à ce poste au Portugais José Manuel Barroso. Ce chrétien-social modéré a confirmé son talent pour l'art du compromis, donnant des gages du côté du social, en plaidant pour un salaire minimum européen, tout comme envers les écologistes, lors de son audition par le groupe Verts le 9 juillet au Parlement européen. A ceux-là, il avoue ne pas bien connaître certaines thématiques phares, comme celles de la transition énergétique ou de la pêche, dont il promet, non sans humour, de ne pas "couler" la réforme. "Malgré tout, il connaît les dossiers et il a compris qu'il y avait des débats citoyens sur ces sujets de société", commente l'eurodéputée verte Michèle Rivasi à l'issue de cette audition. Même si, comme la majorité de ses collègues du groupe, celle-ci n'a pas voté pour M. Juncker, elle veut croire que le nouveau président de la Commission saura rester fidèle à ses premiers engagements.
Pour un objectif contraignant en faveur de l'efficacité énergétique
Lors de son discours devant le Parlement européen mardi 15 juillet, l'ancien Premier ministre luxembourgeois est allé jusqu'à défendre un objectif contraignant de 30% d'efficacité énergétique d'ici à 2030, au risque de prendre la Commission à rebrousse-poils. Celle-ci présentera en effet la semaine prochaine une communication sur l'efficacité énergétique qui servira de guide aux gouvernements européens dans leurs décisions sur leur objectif d'économies d'énergie d'ici 2030. "En amont de cette présentation, il est à craindre que les résultats sur lesquels la communication de la Commission se base aient été manipulés en interne, et ce en vue de biaiser le principal message politique", annonce l'eurodéputé vert luxembourgois Claude Thurmes. Ce qui n'augure pas une stratégie affirmée de la part de la Commission.
Il n'empêche que "je voudrais que nous soyons ambitieux sur ce plan, même si ce n'est pas un dossier sur lequel je suis en mesure de vous présenter un plan millimétrique", a déclaré M. Juncker lors de son audition par le groupe des Verts. "A priori, je suis partisan d'une meilleure efficacité énergétique, d'autant que ce secteur est capable de générer de la croissance et de l'emploi. J'ai toujours dit pendant la crise financière qu'il ne faudrait pas relâcher nos efforts contre la crise climatique car, elle, elle ne va pas disparaître. Donc je voudrais qu'en vue de la conférence climatique de Paris nous nous ressaisissions face à ce problème et que nous lui apportions toute l'attention voulue".
Un mix général
M. Juncker a plaidé pour une Union européenne de l'énergie, "un réel projet d'avenir pour l'UE. Je voudrais que nous accélérions la mise en place du marché unique européen de l'énergie, je voudrais que nous accélérions les interconnexions entre les Etats membres, je voudrais que nous réfléchissions au mix énergétique, même si le choix du mix est considéré comme une affaire qui concerne chaque Etat membre isolément. Ceci dit, nous ne pouvons pas rester sur le mix que nous avons, parce que nous irons dans le mur, il faut non seulement réduire notre dépendance par rapport à la Russie, mais il faut aussi réduire notre dépendance par rapport à l'énergie fossile. Je voudrais que les Etats membres se mettent ensemble pour créer une centrale d'achat d'énergie. C'est absurde qu'ils se présentent isolément devant les grands fournisseurs alors qu'il serait préférable que nous puissions nous organiser de façon collective et solidaire pour pouvoir peser sur les prix de l'énergie et sur les conditions du marché. Nous devons comprendre que l'énergie fait partie de la diplomatie moderne et je voudrais que les nouveaux commissaires en prennent la mesure".
Contre la fracturation hydraulique
La présidence Juncker marquera-t-elle une inflexion dans la politique de l'énergie ? Limitera-t-elle l'influence du commissaire sortant, Günther Oettinger ? Devant le groupe des Verts, M. Juncker s'est déclaré contre la fracturation hydraulique : "Je serais plutôt favorable d'investir davantage dans la recherche afin d'éviter les conséquences négatives déjà connues de cette technologie. Je ne suis certainement pas favorable à promouvoir la fracturation hydraulique. Je suis pour le principe de précaution en la matière".
Autre dossier, qui a pesé lourd pendant la campagne des élections européennes, le traité transatlantique Etats-Unis-Europe. Cet accord très controversé a fait l'objet d'une consultation publique, lancée par la Commission européenne, sur le mécanisme privé de règlement des différends. Celle-ci ayant recueilli quelque 90.000 réponses, M. Juncker a remis en cause les tribunaux privés dont le traité entend se doter. Il a plaidé pour que les Etats-Unis, comme l'Europe, recourent à leur propres juridictions.
L'agriculture européenne sera-t-elle plus soutenable sous la présidence de M. Juncker ? Sur les OGM et la protection des consommateurs, le nouveau président de la Commission estime que "les signaux ne sont pas très clairs. Le processus n'est pas transparent, et j'ai des difficultés à avoir une vue d'ensemble. Je ne pense pas que ce soit une bonne chose que la Commission doive prendre des décisions parce qu'elle désapprouve le Conseil, ce n'est pas démocratique", faisant allusion au vote contre l'autorisation de la culture du maïs transgénique TC 1507 de Pioneer par 19 Etats européens le 11 février dernier. La procédure veut que, lorsque le Conseil ne parvient pas atteindre une majorité qualifiée sur une proposition de la Commission, la décision finale revienne à cette dernière. M. Juncker n'a pas exclu de revoir la procédure en la matière.
Pour M. Juncker, il s'est agi de donner des gages afin de rallier le maximum de soutiens avant le vote du Parlement, plutôt que d'exprimer une vision écologique d'ensemble. Pour Michèle Rivasi, "ces signaux sont à vérifier". Les députés Verts demandent des commissaires "éco-compatibles" sur les questions environnementales et énergétiques. Pour l'heure, quatre commissaires intérimaires ont été élus lors d'un vote unique. Déni de démocratie ? Les auditions reprendront fin septembre, et le Parlement votera sur le "package" en octobre pour élire la nouvelle Commission, qui, plus féminine, sera peut-être aussi plus écologique.