L'Etat a annoncé la couleur par la voix du Premier ministre Edouard Philippe dans Le Parisien daté du 7 avril : ''Les terrains doivent retrouver leur vocation agricole. Les occupants illégaux qui avaient un projet agricole – puisque la vocation de ces terres doit être agricole – ont été invités à se manifester, à s'insérer dans les procédures normales. Ceux qui se placent dans ce cadre auront leur place dans le respect des procédures légales. Tous ceux qui ne s'inscrivent pas dans le cadre de la légalité devront quitter les terrains rapidement.''
Les 2.500 gendarmes dépêchés sur place à l'aube du lundi 9 avril ont pris de court ceux qui, à la suite de réunions de concertation avec la préfecture de Loire-Atlantique, avaient cru ces dernières semaines en la possibilité de maintenir un dialogue avec l'Etat. Nicole Klein, la préfète du département, n'avait-elle pas déclaré vouloir jouer la carte de la sérénité et de l'apaisement ?
Normaliser l'agriculture
La destruction, ce lundi 9 avril, de lieux agricoles emblématiques des expérimentations menées sur la Zad (Zone d'aménagement concerté devenue Zone à défendre et récemment rebaptisée Zone agricole en développement) est une réponse claire de l'Etat : celui-ci entend imposer un retour à une forme de normalisation des 1.650 hectares de l'emprise de l'ex-aéroport de Notre-Dame-des-Landes.
Sur France Bleu Loire Océan ce matin, le député (La République en Marche), Matthieu Orphelin, qui prône une intervention limitée à la remise en service de la départementale RD 281, s'est dit ''très interrogatif sur l'expulsion et la destruction de la ferme des 100 noms. Le projet était là, il était connu, on savait que les gens étaient dans un bon état d'esprit''. Au lieu-dit des ''100 noms'' rasé par les gendarmes hier, on pratique le maraîchage et l'élevage, et les personnes sur place affirment qu'elles se sont fait connaître auprès des services de l'Etat. Mais elles ne rentrent pas dans la norme de la profession agricole.
''Atelier bois, fabrique de pâtes et de bière artisanale, création d'un élevage laitier, implantation de cultures maraîchères, projets culturels, démarrage de production ovine, boulangerie, atelier mécanique, troupeau collectif bovin allaitant, production de plantes médicinales… sont autant de projets déjà existants sur place. Aujourd'hui, des paysannes et paysans en devenir ou en place se font expulser, ce qui est inadmissible !'', s'insurge la Confédération paysanne. Sans compter la destruction en cours d'habitats auto-construits en terre-paille ou en bois par les blindés et tractopelles des gendarmes mobiles.
Sourde oreille
L'Etat est resté sourd aux propositions émanant de l'Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d'aéroport (Acipa) et des occupants de la Zad qui cherchent à faire valoir une vision de la ruralité fondée sur un pluralisme d'usages et d'activités. Dans un courrier daté du 5 avril, proposant une convention provisoire collective adossée à une association créée le 27 février, ''pour un avenir commun dans le bocage'', l'Acipa s'oppose expressément à la volonté de l'Etat de n'accepter que des ''conventions d'occupation précaire'', qui supposent d'être exploitant agricole déclaré.
Ces conventions, ''personne n'en a fait la demande'', explique Dominique Deniaud, président de la Confédération paysanne des Pays-de-Loire. ''Tout le monde est expulsable, car créer une activité agricole, cela prend un à deux ans''. Les conventions d'occupation précaire proposées par les services de Etat ne peuvent être signées qu'avec des agriculteurs. C'est là que le bât blesse. ''Les expulsions concernent des gens qui a priori refusent tout cadre'', explique le Conseil départemental de Loire-Atlantique. Les zadistes, eux, prônent le droit à l'expérimentation et la pluralité des usages.
Ce qui fait tonner le président de la Chambre d'agriculture de Loire-Atlantique, Jacques Lemaître : ''L'expérimentation ça se fait dans les laboratoires ! C'est assez amusant de constater que quand on fait des cultures OGM en plein champ, des faucheurs s'y attaquent. Dans le cas présent, c'est nous qui refusons l'expérimentation d'une agriculture qui n'est pas conventionnelle''. Selon M. Lemaître, ''les portes de la Chambre d'agriculture ont toujours été ouvertes pour tout porteur de projet agricole, y compris non issu du monde agricole''.
Reprise en main du territoire par la Chambre d'agriculture
Tandis que la Chambre d'agriculture s'estime seule légitime à organiser la reprise des terres de la zone de Notre-Dame-des-Landes, les agriculteurs historiquement opposés au projet aéroportuaire, rassemblés au sein de l'Acipa, affirment : ''Nous maintenons que c'est bien le mouvement qui a la légitimité à prendre en charge ces terres d'une manière commune et cohérente''.
Quant au département de Loire-Atlantique, ex-propriétaire de 850 hectares sur les 1.650 de l'ex-emprise de l'aéroport, il négocie avec l'Etat une rétrocession des terres pour un montant de cinq millions d'euros, selon M. Lemaître, et a signé dès le 22 février une convention avec la Chambre d'agriculture sur l'avenir agricole dans le secteur.
Sur place, le clivage est net entre deux mondes agricoles. Les agriculteurs opposés à l'aéroport représentent quatre exploitations couvrant 350 hectares. Pour des raisons politiques, lors de la procédure d'expropriation, ils ont refusé de toucher l'indemnisation versée par l'Etat, les sommes ont été séquestrées. Ils défendent le droit à l'expérimentation sous la forme d'un maillage de petites fermes à taille humaine.
Quant à la majorité des agriculteurs historiquement présents sur la zone expropriée, ''soit une trentaine d'exploitations couvrant 80% des terres agricoles du site'', selon le président de la Chambre d'agriculture de Loire-Atlantique, ils ont accepté une cession à l'amiable et reçu des indemnités qui leur ont permis d'acheter des terres à l'extérieur de la Zad tout en continuant à exploiter leurs parcelles en vertu de baux provisoires, ce qui leur a valu d'être perçus comme des ''cumulards'' par ceux qui ont refusé l'indemnisation.
Ces cédants repentis entendent aujourd'hui peser sur la redistribution des terres de l'ex-Zad de Notre-Dame-des-Landes. Ils reprochent aux zadistes de s'être étendus sur leurs parcelles et ont fondé l'Association pour le maintien des exploitations légales sur l'ancienne zone aéroportuaire (Amelaza) en janvier 2018 afin de récupérer leurs terres. Présidée par Mickaël Mary, exploitant installé depuis 2005 à l'est de la ZAD et ancien secrétaire des Jeunes agriculteurs de Loire-Atlantique liés à la FNSEA (syndicat agricole majoritaire, ndlr), l'Amelaza réclame le respect des normes de contrôle sanitaire et reproche à l'Etat d'avoir abandonné la zone à des non professionnels. L'Etat semble avoir entendu le message.