En gestation depuis des mois, destinée à réduire les émissions de gaz à effet de serre françaises tout en verdissant la fiscalité, la taxe carbone est donc pulvérisée pour la deuxième fois en quelques mois. Elle avait été votée avec son cortège d'exemptions en décembre dernier par le Parlement, avant d'être censurée quelques semaines plus tard par le Conseil d'Etat. La deuxième version de la taxe carbone aurait dû entrer en vigueur le 1er juillet. Une consultation avait d'ores et déjà été lancée par le gouvernement début février.
L'UMP revient aux fondamentaux
La taxe carbone est sacrifiée sur l'autel de la défaite de l'UMP aux régionales. Son abandon était réclamé par une majorité d'élus du parti. Le ton avait été donné par le président de la République en personne dans une interview au Figaro Magazine à la veille du premier tour des élections régionales. Il réclamait l'adoption de la taxe après une concertation au niveau national et européen. La mise en place d'un tel dispositif avait pourtant été comparé quelques mois plutôt à l'abolition de l'esclavage ou de la peine de mort par le chef de l'Etat.
L'abandon de la taxe ne fait pourtant pas que des heureux dans les rangs du parti majoritaire. ''Je suis désespérée que ce soit l'écolo-scepticisme qui l'emporte, a déclaré la secrétaire d'Etat à l'écologie Chantal Jouanno à l'AFP. Je ne suis pas en phase avec cette décision. C'était possible de le faire en France avant de le faire en Europe''. Au ministère de l'environnement, un tel écart de la ligne officielle n'avait pas été répertorié depuis la loi sur les OGM en avril 2008, lorsque les députés UMP étaient qualifiés ''d'armée de lâches'' par… l'ancienne secrétaire d'Etat à l'écologie Nathalise Kosciusko-Morizet.
Fabienne Keller est elle aussi ''désespérée et déçue''. Avec la défaite des régionales, ''le gouvernement a reçu un signal dans l'arrêt des réformes. La taxe carbone était la mesure la plus impopulaire'', indique la sénatrice (UMP, Bas-Rhin) et présidente du groupe de travail sur la fiscalité environnementale au Sénat.
Le spécialiste de l'écologie politique Erwan Lecoeur est à l'opposé de cette analyse. ''Si son engagement écologiste avait été de fond, le gouvernement aurait compris que l'opinion publique en veut plus sur l'environnement, comme le montrent tous les sondages et tendances d'opinion. C'est exactement comme lorsque les députés sont en faveur des OGM, alors que l'opinion publique est contre''.
Contexte anti-écolo
Le recul du gouvernement sur la taxe carbone a pour inconvénient de se produire dans un contexte particulièrement peu grenello-compatible : la petite phrase du chef de l'Etat au Salon de l'agriculture - ''l'environnement, ça commence à bien faire'' -, l'autorisation lundi 22 mars d'un terminal charbonnier à Cherbourg (Manche), ainsi qu'un projet de loi Grenelle 2 qui s'annonce très influencé par le lobby anti-éolien. Il pourrait n'être examiné qu'à la fin de l'année, soit trois ans après les conclusions des Etats généraux de l'environnement.
Levée de boucliers des acteurs de l'environnement
Très décriée au moment de son vote par les associations environnementales, car vidée de son contenu par les parlementaires lors de leur examen du Budget 2010, la taxe carbone n'en est pas moins regrettée par le monde de l'environnement. ''Les associations sont scandalisées par le mépris qui caractérise cette décision, écrit le Réseau action climat France dans une lettre ouverte au chef de l'Etat, allant jusqu'à annoncer ''la mort du Grenelle''.
Pour France nature environnement, le gouvernement français envoie ''un très mauvais signal à la communauté internationale et aux Français''. ''Si l'abandon devrait être confirmé au moins de juillet, c'est la compétitivité à long terme des entreprises françaises qui en sera la première victime, renchérit le WWF. En effet, la contribution Climat Energie a pour vocation de permettre l'adaptation des entreprises françaises à la nouvelle donne énergétique et en particulier la remontée inexorable du prix des hydrocarbures''. De son côté, le Medef s'est félicité de ''la décision du gouvernement de renoncer à la taxe carbone'' et s'est dit soulagé ''notamment pour toute l'industrie qui n'aurait pas supporté ce nouveau handicap de compétitivité''.
''Pour masquer son manque de courage politique, Sarkozy jongle avec l'Europe, attendant d'elle parfois une taxe carbone communautaire, d'autres fois une taxe carbone aux frontières, deux mesures qu'il sait vouées à l'échec dans les années qui viennent'', concluent les trois eurodéputés Verts Yannick Jadot, Pascal Canfin et Jean-Paul Besset dans un communiqué. Il sera en effet très difficile pour l'Union européenne de se mettre d'accord sur ce sujet, la fiscalité étant l'un des thèmes devant faire l'unanimité entre les 27 Etats membres.