L'augmentation des émissions de CO2 due aux activités humaines depuis 200 ans, c'est-à-dire depuis le début de la Révolution industrielle, a un impact sur le climat mais aussi sur les océans. Ceux-ci absorbent en effet une partie des gaz à effet de serre émis dans l'atmosphère et servent en quelque sorte de régulateur. Chaque jour, un tiers du gaz carbonique produit par les activités humaines, soit plus de 25 millions de tonnes, est absorbé par l'eau de mer. Non sans conséquence… La dissolution du gaz carbonique dans l'eau de mer entraîne la formation d'acide carbonique (H2CO3) associée à une diminution du pH (mesure de l'acidité). Des séries de mesure du pH à long terme ont permis d'observer une acidification des océans, commente Jean-Pierre Gattuso. Et l'une des certitudes que l'on peut avoir, c'est que ce phénomène va continuer dans l'avenir. Dans quelle mesure ? On ne peut pas le prévoir, comme on ne peut pas prévoir quelle sera l'évolution future des émissions de CO2. Cela dépendra des prochaines négociations internationales sur le climat, de l'après Kyoto…
Les conséquences de cette absorption massive de CO2 par l'eau de mer sont très peu connues. Les premières études menées à ce sujet datent de la fin des années 90. C'est dire l'immensité des choses qu'il reste à découvrir !
Quatre années de recherche pour mieux appréhender le phénomène
L'objectif d'EPOCA est de répondre à toutes ces questions qui sont pour l'instant en suspens, explique le chercheur du CNRS. Quel est l'impact de l'acidification sur les organismes et les écosystèmes ? Quelle est la capacité d'absorption de l'océan ? L'océan étant un régulateur climatique, quel impact cette acidification pourrait avoir sur le changement climatique ?
Autant de questions, autant de réponses à apporter…
Pendant quatre ans, 105 scientifiques vont être mobilisés au sein du programme EPOCA, qui réunit 27 partenaires (universités, laboratoires…) issus de 9 pays. 16,5 millions d'euros vont être apportés à ce programme, dont 6,5 millions financés par l'Union européenne. EPOCA devrait permettre de mieux comprendre les effets de l'acidification des océans et son impact sur l'environnement. L'un des objectifs étant d'aider les décideurs en leur apportant les informations nécessaires sur le sujet. Quatre thématiques de recherche ont été définies.
La première devrait permettre de documenter les modifications chimiques et la distribution des espèces. Il nous faut comprendre le passé pour mieux saisir le futur, explique Jean-Pierre Gattuso. Grâce à des mesures répétées de pH dans l'Atlantique et le Pacifique mais aussi grâce à des méthodes de paléoreconstruction, le programme devrait permettre de mieux appréhender le passé et le présent des océans.
Le deuxième thème scientifique, le plus important - il mobilisera 50 % du budget - devrait permettre de préciser la réponse des organismes et des écosystèmes à l'acidification des océans. Aujourd'hui, l'une des certitudes que l'on a, c'est que les organismes à squelette calcaire (les coraux, les mollusques…) croissent moins vite quand le pH est plus faible. Jusqu'à aujourd'hui, on a testé l'impact de l'acidification sur un petit nombre d'espèces, on ne le connaît pas sur la majorité de l'écosystème marin. Nous allons mener des expériences de perturbation sur les organismes pour pouvoir mesurer cet impact. Les réponses biologiques à ce phénomène seront donc quantifiées et la capacité d'adaptation des organismes étudiés pourra être évaluée. Nous savons qu'il y a des perdants, comme les organismes à squelette calcaire, mais il y a potentiellement des gagnants dans cette baisse de pH dans l'eau de mer. Les plantes marines, par exemple, vont bénéficier de l'augmentation de CO2, notamment au niveau de la photosynthèse. Mais nous n'avons pas encore de vision globale de ce phénomène et de son amplitude.
Le troisième thème vise à modéliser et prédire les cycles biochimiques d'ici 2100 et ses conséquences sur les organismes et sur les écosystèmes. Nous ne pourrons pas donner un chiffre magique sur le niveau de pH dans le futur. Nous pourrons en revanche donner un intervalle de valeurs du pH, explique Jean-Pierre Gattuso.
Enfin, toutes ces données seront synthétisées et mises à disposition des décideurs. Bien souvent, les scientifiques ont du mal à parler au grand public et aux décideurs. Il s'agira de mettre à la portée de tous ces informations acquises au travers des 3 thèmes. Objectif : estimer les incertitudes et les risques liés à l'acidification des océans et déterminer comment éviter ces menaces.