Le maintien de capacités de production nucléaire dédiées à l'export apporte un "bénéfice limité" au système électrique français. A court terme, un mix composé d'électricité nucléaire et renouvelable est compétitif et permet d'envisager des exportations. Mais, à plus long terme, la France en tirerait un bénéfice limité, l'essentiel des avantages allant à nos voisins. Telle est l'une des principales conclusions de la mise à jour de l'étude (1) "Trajectoires d'évolution du mix électrique 2020-2060" publiée parl'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), ce mardi 9 avril.
En décembre 2018, l'Ademe avait publié une étude de l'évolution possible du mix électrique entre 2020 et 2060. L'Agence estimait que, "dans le scénario le plus efficace en termes de coût pour la collectivité, les énergies renouvelables (EnR) représentent plus de 95 % de la production d'électricité française en 2060". La mise à jour apporte des analyses techniques détaillées sur les prix, les exportations et les flexibilités. L'Ademe a étudié cinq scénarios : les trajectoires "référence", "efficacité énergétique élevée" et "prolongement nucléaire facile", décrites dans l'étude initiale, ainsi que les trajectoires "développement interconnexions aisé" et "transition plus lente en Europe", ajoutée pour la mise à jour de l'étude.
Un succès lié aux stratégies de nos voisins
Premier constat : "le potentiel français d'export d'électricité dépend avant tout de l'évolution des parcs électriques des pays voisins". L'Ademe juge en effet que le coût complet de prolongement des centrales nucléaires françaises et celui des capacités renouvelables installées après 2030 "sont inférieurs au coût variable des centrales thermiques (gaz ou charbon) existantes à l'étranger". L'Ademe en conclut donc qu'il est "pertinent économiquement" de développer d'importantes capacités de production bas carbone en France si nos voisins conservent d'importantes capacités thermiques. A contrario, cette stratégie n'est plus pertinente si nos voisins investissent rapidement dans les renouvelables. La France devrait pouvoir exporter de 100 à 150 térawattheures (TWh) par an entre 2020 et 2040, si les pays européens atteignent leurs objectifs en termes de renouvelables. S'ils échouent, les exportations peuvent atteindre jusqu'à 200 TWh par an.
Au-delà de 2050, si nos voisins optent pour un scénario avec de fortes contributions des énergies éoliennes et solaires (43% du mix dès 2030), alors le solde exportateur français disparaît. Même si la trajectoire de transition est plus lente (avec un recours accru au gaz, plutôt qu'aux renouvelables), le solde exportateur français est réduit à 70 TWh en 2060. L'Ademe en conclut que "les incertitudes sur l'évolution des parcs de production à l'étranger, ainsi que sur la bonne réalisation d'un rythme élevé de réalisation d'interconnexions, pèsent fortement sur l'intérêt économique de maintenir des capacités de production importantes dédiées à l'export".
Nos voisins économisent un milliard d'euros par an
L'étude pointe aussi les bénéfices tirés par les importateurs. Sur la période 2030-2044, le nucléaire français leur permettrait de réduire collectivement de 14 millions de tonnes par an leurs émissions de CO2, tout en économisant un milliard d'euros par an. "Ces résultats sont cependant fortement dépendants de l'acceptation des pays voisins à dépendre en partie des exports français et devenir importateur net d'électricité", pondère l'étude. Ce dernier point est d'autant plus critique que nos voisins veulent tous être exportateurs grâce au développement des énergies renouvelables.
Et côté français ? "Les coûts induits par ces prolongements supplémentaires [de réacteurs nucléaires] sont équivalents aux gains associés (investissements évités dans d'autres technologies et exports supplémentaires d'électricité) sur la période 2030-2044", estime l'Ademe. L'étude pointe surtout que la France aura du mal à bien valoriser ses exportations pour deux raisons. Tout d'abord, le maintien d'importantes capacités nucléaire entraîne une baisse du taux de charge des réacteurs. Ensuite, les fortes capacités nucléaires françaises "tirent les prix du marché européen vers le bas, ce qui réduit la valeur au mégawattheure des exportations françaises".