"La sortie du nucléaire, pour peu qu'on remplace les capacités de production énergétique avec des équipements produits localement, n'aurait pas d'impact macro-économique". Telle est la conclusion de Gaël Callonnec, économiste au service économie et prospectives à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), à l'issue de la présentation des différents scénarios énergétiques à l'horizon 2030 réalisés par l'équipe chargée de l'évaluation et de la conception des politiques fiscales en matière d'énergie et de transports.
Ces résultats, s'appuyant sur le modèle économique ThreeME, développé par l'Ademe et l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), ont été présenté dans le cadre du séminaire Développement durable et économie de l'environnement organisé par l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri).
L'Ademe sera-t-elle citée par la commission Besson ?
L'étude de l'UFE était spécifiquement destinée aux travaux du groupe de travail Energie 2050 chargé de réfléchir à la stratégie énergétique française à l'horizon 2050.
L'étude de l'Ademe pourrait pour sa part être cantonnée à un second rôle. "J'ai bon espoir de la voir figurer dans les annexes", a indiqué Gaël Callonnec, précisant dans la foulée "mais pas dans le texte".
En premier lieu, l'Ademe a travaillé sur les trois scénarios de l'Union française de l'électricité (UFE) présentés en novembre 2011. Parmi les grandes hypothèses posées par l'UFE figurent un taux de croissance de la demande d'électricité sur la période 2010-2030 de 17% et un taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) annuel de 1.5% par an.
Le scénario A pose une stabilité de l'électricité produite à partir du nucléaire (70% du total), une hausse de l'électricité produite à partir des sources renouvelables (24% du total) et le solde provenant des sources fossiles (7%). Ce scénario implique un prolongement de 20 ans de la durée de vie des réacteurs "pour un coût unitaire croissant de 20% jusqu'en 2030 (EDF prévoit d'investir entre 500 millions et 680 millions d'euros par réacteur) puis de 35% au delà, date à laquelle on substituera massivement les réacteurs de deuxième génération par des EPR", précise l'Ademe. Le taux d'utilisation des capacités thermiques est de 25%.
Le Scénario B propose de réduire à 50% la part du nucléaire. En contrepartie les renouvelables progressent pour atteindre 34% et les énergies fossiles comblent les 16% restants. Ici, la durée de vie est allongée de 10 ans "pour un coût de production unitaire en hausse de 10%" et le taux d'utilisation des capacités thermiques monte à 35%. Un mix énergétique qui correspond aux grandes lignes de l'accord entre le Parti socialiste (PS) et Europe Ecologie – Les Verts (EELV), commente Gaël Callonnec, lui-même pressenti pour être candidat EELV dans les Yvelines aux législatives.
Enfin, le scénario C réduit à 20% la part du nucléaire et propose un recours à part égale entre les deux autres sources d'énergie. Il n'envisage pas de prolongement de la durée de vie des réacteurs nucléaires et le taux d'utilisation des centrales thermiques s'élève à 50%.
A ces trois scénarios, l'Ademe en a ajouté un inspiré du scénario B de l'UFE. Comme dans les travaux de l'UFE, la part du nucléaire est réduite à 50% et la durée de vie des réacteurs est prolongée de 10 ans. Par contre la part des énergies renouvelables est portée à 46% (contre 34% pour l'UFE) et le taux d'utilisation des capacités thermiques est de 25% (contre 35% pour l'UFE). Par ailleurs, ce scénario est décliné en deux variantes : un scénario D qui sert de référence et une option E qui "suppose que la France développera des filières de fabrication d'éoliennes et de panneaux photovoltaïques de manière à réduire la propension à importer de ces secteurs". Seul l'impact sur l'emploi diffère donc dans les résultats présentés par l'Ademe.
Des résultats sensiblement différents de ceux de l'UFE
Mix électrique 2030 | UFE A | UFE B | UFE C | Ademe D (1) |
---|---|---|---|---|
Nucléaire | 70% | 50% | 20% | 50% |
Renouvelables | 24% | 34% | 40% | 46% |
Thermique | 7% | 16% | 40% | 4% |
Investissement (Mds d'euros) | 419 | 485 | 694 | 563 |
Prix du kWh (base 100 en 2010) | 155 | 180 | 206 | 178 |
Var de l'emploi (par rapport à UFE A) | 0 | -33.000 | -85.000 | -71.000 (2) |
Emissions de GES (base 100 en 2010) | 67 | 71 | 76 | 66 |
Premier point analysé, la perte d'emplois serait comprise, par rapport au scénario A qui sert de référence, entre 32.000 (pour le scénario E) et 85.000 (pour le scénario C). "On est très loin du million d'emplois évoqué par EDF", commente l'économiste de l'Ademe. Ces pertes d'emplois ne représenteraient qu'une hausse de 0,1 à 0,3 % du taux de chomage à l'échéance 2030.
Quant à l'investissement à réaliser, l'Ademe l'évalue à 419 milliards d'euros pour le scénario A (contre 382 milliards selon les calculs de l'UFE). Les surcoûts par rapport à ce premier scénario, varient de 66 milliards, pour le scénario B, à 275 milliards, pour le scénario C.
Hausse des prix et demande
Par ailleurs, les prix de l'électricité progresseraient, par rapport aux prix de 2010, de respectivement 55%, 80%, 106% et 78% pour les scénarios A, B, C et D. L'UFE annonçait pour sa part une hausse des prix de l'ordre de 35% pour le scénario A, de 45% pour le B et de 75% pour le C. Quel que soit le choix qui sera réalisé dans les années à venir, l'Ademe et l'UFE s'accordent donc sur un point : les prix de l'électricité sont appelés à croitre sensiblement.
En revanche, l'Ademe avance que selon le mix retenu la croissance de la demande varie de -3% à +25%, alors qu'elle est stable à 17%, par hypothèse, dans les travaux de l'UFE.
Gaël Callonnec voit dans cette différence un manque de rigueur des travaux menés par l'UFE. Selon l'économiste il n'est pas possible qu'un modèle économique prévoit à la fois une croissance de la demande d'électricité fixe et des hausses de prix variables. Si les prix montent, les agents économiques s'adaptent et économisent l'énergie. "On ne peut pas se contenter de règles de trois et de petits calculs sur un coin de table", ironise Gaël Callonnec.