Alors que le régime fiscal de faveur dont bénéficie le secteur aérien est de plus en plus critiqué, la majorité présidentielle a refusé de saisir l'occasion de réforme qui s'offrait à elle avec la discussion du projet de loi d'orientation des mobilités (LOM). Plusieurs députés, de sensibilités politiques diverses, avaient en effet déposé des amendements visant à mettre fin à ces avantages fiscaux. Ils ont été repoussés par l'Assemblée nationale vendredi 14 juin, au profit d'une promesse du gouvernement de porter le débat au niveau européen et de remettre un rapport sur la question d'ici la fin de l'année.
Le secteur de l'aviation représente au moins 5 % de l'impact climatique attribuable aux activités humaines et est 14 à 40 fois plus émetteur de CO2 que le train, rappellent neuf associations et collectifs citoyens (1) mobilisés pour la baisse du trafic aérien et ses émissions de gaz à effet de serre. Un doublement du trafic est prévu d'ici un peu plus de dix ans compte tenu de sa croissance actuelle. Or, l'aviation civile bénéficie de nombreux avantages fiscaux : exonération de TICPE (taxe intérieure sur les produits énergétiques) sur le kérosène pour un coût annuel de 3,6 Md€, taux réduit de TVA, subventions directes aux aéroports et au compagnies aériennes.
Dans une tribune (2) publiée le 11 juin par le Réseau Action Climat (RAC), ces ONG appelaient les députés à prendre des mesures rapides en la matière. Cet appel n'a pas été entendu puisque la majorité a repoussé les différents amendements qui cherchaient à mettre fin à ces avantages fiscaux. Certains visaient à supprimer l'exonération de TICPE sur le kérosène (3) , d'autres à augmenter le taux de TVA sur les billets d'avion (4) des vols domestiques ou à interdire certaines liaisons aériennes (5) substituables par le train avec un temps de trajet comparable.
"Plus de 20 % du trafic aérien en France est exclusivement métropolitain, et concerne majoritairement des villes bien reliées au réseau ferroviaire : les dix aéroports français les plus fréquentés sont situés dans des agglomérations desservies par des trains à grande vitesse. De plus, en France, la moitié des déplacements par avion est le fait des 2 % de personnes dont les revenus par unité de consommation sont les plus élevés", expliquent les députés François Ruffin et Delphine Batho, auteurs de ce dernier amendement.
"Veut-on que les territoires restent enclavés ?"
Pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas donné suite à ces amendements ? "Nous sommes favorables à une taxation du transport aérien pour inciter les voyageurs à choisir des modes de transport vertueux et le transport aérien à devenir plus propre", a expliqué la ministre des Transports. C'est la position que soutient la France dans les différents conseils auxquels elle participe", a ajouté Elisabeth Borne. Une bataille jugée indispensable par les ONG, alors qu'une étude dont dispose la Commission européenne montre qu'une taxation du kérosène réduirait de 11 % les émissions de CO2 du secteur sans avoir d'effet négatif sur l'économie.
"Mais cela ne doit pas dédouaner [le gouvernement] d'agir au niveau national. En vérité, sur ce point, la France pourrait mettre fin aux régimes fiscaux dérogatoires sur des vols internationaux aussi bien que sur les vols nationaux, sans attendre une décision européenne voire mondiale. Des pays voisins comme l'Allemagne, le Royaume-Uni, la Norvège et plus récemment la Suède, ont aussi pris des mesures en taxant les billets d'avion", expliquent les signataires de la tribune publiée par le RAC.
Lors de la discussion, Elisabeth Borne a mis en avant l'incompréhension que susciterait une taxation nationale pour les habitants des outre-mer, de la Corse et des villes enclavées comme Aurillac, Brive ou Castres. "Veut-on que les territoires restent enclavés ?", interroge la ministre, qui a argué de l'impossibilité technique à exonérer certaines destinations. Il faut dire aussi que la pression des élus locaux est forte. "Nous ne pouvons ignorer les enjeux que le transport aérien soulève, en matière notamment d'intermodalité, d'aménagement des territoires et de développement économique", interpelle Josiane Costes (RDSE – Cantal), rapporteure de la mission d'information (6) que le Sénat a lancée sur cette question.
"Pour peu qu'on accepte de ne pas invoquer l'Europe ou de ne pas se dissimuler derrière le prétendu défaut technique de tel ou tel amendement, la question est politique : veut-on instaurer, après la crise sociale que nous avons traversée, une taxe carbone innovante, qui aide à la transition sociale et écologique ? Ou préfère-t-on continuer à culpabiliser ceux qui vont au travail, qui se rendent à l'hôpital ou qui vont faire leurs courses, tandis que d'autres, qui préfèrent prendre l'avion plutôt que le train, et dont la consommation de transport aérien est aussi immodérée qu'inconsidérée, pourront demeurer indifférents à la pollution qu'ils génèrent pour 100 % de leurs concitoyens ?", interroge le député socialiste Dominique Potier.
"Des données déjà connues"
Au final, la seule avancée permise par le gouvernement sur ce sujet a été le vote d'un amendement de la rapporteure LREM Bérangère Abba qui impose au gouvernement la remise d'un rapport d'information (7) . Ce dernier, que l'exécutif devra transmettre au Parlement avant la fin de cette année, portera sur le niveau de fiscalité du transport aérien en France et, par comparaison, dans les autres pays de l'UE dans le cadre des travaux lancés à l'échelle européenne. Des données qui sont déjà connues, estiment les députés socialistes Delphine Batho et Dominique Potier.
Le vote en commission le 21 mai dernier d'un amendement affectant une petite partie du produit de la taxe "Chirac" de solidarité sur les billets d'avion aux infrastructures de transport paraît à cet égard bien modeste. Mme Abba avait estimé à environ 30 millions d'euros (M€) le montant qui pourrait ainsi être dédié chaque année aux infrastructures et aux mobilités durables. Un chiffre à rapprocher des 3,6 Md$ de manque à gagner lié à l'exonération de TICPE.