C'est peu dire que le jugement était attendu. Le tribunal administratif de Paris a rendu ce mercredi 3 février son délibéré (1) dans l'Affaire du siècle audiencée le 14 janvier dernier. Premier grand procès climatique en France avec celui de la commune de Grande-Synthe, les quatre associations (2) requérantes avaient demandé à la justice administrative d'enjoindre le Gouvernement à mettre un terme aux manquements de l'État à ses obligations de lutte contre le changement climatique. Mais aussi de condamner ce dernier à leur verser un euro symbolique en réparation du préjudice moral et du préjudice écologique subis.
Si les quatre ONG crient victoire en revendiquant un « jugement historique » qui « condamne l'État pour inaction climatique », la lecture du jugement et les commentaires de plusieurs juristes spécialisés laissent plus circonspect.
Responsable d'une partie du préjudice écologique
Qu'ont décidé les juges ? Ils reconnaissent de manière générale aux associations de protection de l'environnement la qualité pour introduire un recours tendant à la réparation d'un préjudice écologique devant les juridictions administratives. La réparation d'un tel préjudice est en général demandée devant les juridictions judiciaires même si le Conseil d'État avait déjà ouvert une première brèche en la matière en mars 2017.
Les juges reconnaissent l'existence d'un préjudice écologique lié au réchauffement climatique, en intégrant les travaux scientifiques existants en la matière, ainsi qu'une responsabilité de l'État. « À hauteur des engagements qu'il avait pris et qu'il n'a pas respectés dans le cadre du premier budget carbone, l'État doit être regardé comme responsable (…) d'une partie du préjudice écologique constaté », indique le jugement.
Concernant la demande de réparation de ce préjudice, il doit s'effectuer par priorité en nature selon le code civil. Ce n'est qu'en cas d'impossibilité d'une telle réparation que le juge peut condamner le responsable à verser des dommages et intérêts. Le tribunal relève que les ONG requérantes ne démontrent pas l'impossibilité de l'État à réparer en nature le préjudice et que la demande d'un euro symbolique est sans lien avec l'importance de celui-ci. Il rejette donc leur demande de réparation pécuniaire.
Quant à la réparation en nature et aux demandes d'injonction qui l'accompagnent, celles-ci ne sont recevables, juge le tribunal « qu'en tant qu'elles tendent à la réparation du préjudice ainsi constaté ou à prévenir, pour l'avenir, son aggravation ». Or, l'état de l'instruction « ne permet pas (…) de déterminer avec précision les mesures qui doivent être ordonnées à l'État à cette fin ». D'où le fait que le tribunal ordonne un supplément d'instruction. « Curieusement, le sursis ne vise pas à obtenir des informations supplémentaires de l'État mais à soumettre au débat contradictoire la réponse qu'il a adressée au tribunal le 8 janvier dernier après la clôture de l'instruction », relève un avocat spécialisé en droit de l'environnement.
Quant au préjudice moral, le tribunal estime que les associations peuvent prétendre à la réparation par l'État de ses carences fautives dans la mesure où celles-ci ont porté atteinte aux intérêts collectifs qu'elles défendent. Les juges leur allouent un euro symbolique en réparation du préjudice subi.
« Première victoire historique »
« Plus de deux ans après le début de notre action, soutenue par 2,3 millions de personnes, cette décision marque une première victoire historique pour le climat et une avancée majeure du droit français », se félicitent les quatre associations requérantes. Arié Alimi, avocat d'Oxfam France, voit trois apports principaux dans ce jugement : la reconnaissance d'une carence fautive de l'État, une obligation générale de lutte contre le changement climatique mise à sa charge, et la reconnaissance du préjudice écologique « quand on est une association ».
Jugement avant-dire droit
Pour plusieurs juristes, les quatre ONG brûlent toutefois les étapes car le tribunal n'a pas encore répondu à la requête principale visant à enjoindre l'État à agir. « Ce jugement est un jugement "avant-dire droit" : il faut attendre de lire le jugement définitif qui sera rendu dans un peu plus de deux mois pour savoir s'il est ou non "historique". Et, en réalité, ce contentieux suit le contentieux "Grande-Synthe" », tempère l'avocat Arnaud Gossement. Dans cette dernière affaire, l'État doit prouver d'ici le 19 février qu'il pourra se conformer à ses objectifs climat à horizon 2030.
De son côté, le Gouvernement prend acte du jugement via un communiqué de presse publié par le ministère de la Transition écologique. S'il reconnaît que les objectifs fixés sur la période du premier budget carbone (2015-2018) n'ont pas été atteints, il met en avant les efforts engagés depuis 2017 à travers diverses « politiques ambitieuses » : la loi d'orientation des mobilités pour décarboner le secteur des transports, la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire pour sortir du tout plastique et du tout jetable, la loi énergie-climat pour accélérer la décarbonation du mix énergétique, le plan de relance « qui prévoit 30 milliards d'euros pour le verdissement de l'économie française », vante le ministère. Et celui-ci d'annoncer une nouvelle étape décisive avec le projet de loi issu des propositions de la Convention citoyenne pour le climat qui doit être présenté en Conseil des ministres le 10 février.
Mais, comme le rappelle Célia Gauthier de la Fondation Nicolas Hulot, ce projet de loi ne permettra de sécuriser qu'entre la moitié et les deux-tiers des réductions des émissions de gaz à effet de serre à réaliser d'ici 2030, de l'aveu même du Gouvernement.
Reste à voir si la défense de l'exécutif parviendra à convaincre le tribunal administratif. Verdict d'ici quelques mois.