Délégué général de l'association Eau et rivières de Bretagne
Actu-Environnement : Quel diagnostic faites-vous de la crise que traversent l'agriculture et l'agroalimentaire en Bretagne ?
Gilles Huet : Les principales difficultés que vivent certaines entreprises agroalimentaires concernent les secteurs de la production et de la transformation animale. Cela vient d'une surcapacité d'abattage de la production porcine et de la fin programmée depuis 2005, et annoncée depuis 2000, du soutien européen à l'exportation vers le Moyen-Orient. Nous sommes d'autant plus amers que pour ces situations, le diagnostic avait été établi dès les années 2000, dans le cadre du plan d'action pour un développement pérenne de l'agriculture (1) et de l'agroalimentaire et pour la reconquête de la qualité de l'eau en Bretagne, adopté en 2002.
Ce plan (2) avait alors été signé par l'ensemble des acteurs bretons. Il proposait de réorienter l'agriculture bretonne et d'améliorer la valeur ajoutée sur l'ensemble de la filière. Il a malheureusement été vidé de sa substance par facilité. On se retrouve donc aujourd'hui dans la situation que prévoyait ce plan si rien n'était engagé : l'effondrement des entreprises et une mauvaise stratégie d'adaptation.
AE : Que contenait ce plan d'action ?
GH : La stratégie de ce plan prenait en compte l'évolution de la demande sociale, du marché européen mais aussi des attentes environnementales (eutrophysation…). Il prévoyait de recentrer les secteurs sur les produits à plus forte valeur ajoutée, d'adapter les conditions de production, de maîtriser les effectifs animaux et de prendre en compte les enjeux environnementaux. Ce dernier point a été suivi en partie puisque la tendance générale de la pollution aux nitrates a été stoppée. Mais l'effort doit être poursuivi.
Le plan d'action de 2002
Le plan d'action adopté en 2002 dressait un diagnostic sans appel du développement de l'agriculture et de l'agroalimentaire en Bretagne. S'il estimait que ce développement a été favorable à l'économie régionale, il soulignait que celui-ci avait "atteint ses limites" dans deux domaines :
"- la mauvaise qualité de l'eau qui menace directement l'économie régionale dans son ensemble, et l'agriculture en particulier ;
- la volonté de toujours produire plus qui a entraîné des crises répétées et a placé quelquefois au second plan l'adaptation des conditions de production, la recherche de la valeur ajoutée et les progrès sociaux qui devraient l'accompagner".
Il présentait donc des mesures pour répondre au "double défi de la création de richesse et de la préservation de l'environnement", en généralisant les bonnes pratiques agronomiques notamment dans les productions animales, en accroissant les démarches de certification (agriculture biologique, labels rouges…). Il fixait par exemple comme objectif pour l'AB l'atteinte de 4% de la SAU en 2006, alors qu'en 2012 la Bretagne était encore en-deçà…
D'abord, sur le relèvement des seuils d'autorisation des élevages porcins, qui fait l'objet d'un projet de décret et qui est en fait un alignement sur les seuils européens prévus dans la directive relative à la prévention et à la réduction intégrées de la pollution (IPPC). Or ce relèvement ne supprimera pas les distorsions de concurrence avec nos voisins européens. En effet, ces derniers, à l'instar de l'Allemagne, du Danemark et des Pays-Bas, appliquent des normes techniques plus strictes, notamment sur les émissions d'ammoniac. Nous sommes favorables à une harmonisation de la réglementation européenne, à condition qu'elle s'accompagne de contraintes techniques plus fortes.
La deuxième revendication porte sur la suppression des règles d'équilibre en phosphore dans les plans d'épandage. Or, cette règle de bon sens vise à ne pas apporter de phosphore au-delà de ce que peut supporter la culture.
Enfin, il y a une demande d'inclure dans l'évaluation de la situation des départements sur l'azote, les apports minéraux, et pas seulement organiques. Nous y sommes favorables à condition que les départements qui se trouvent en excédent appliquent des limitations d'utilisation de l'épandage et/ou des apports minéraux.
Finalement, ces mesures demandées par certains acteurs ne permettraient pas de répondre à la crise mais, au contraire, elles créeraient d'autres problèmes économiques, notamment dans d'autres secteurs, comme le tourisme ou la conchyliculture, qui nécessitent une eau et un environnement de qualité.
AE : Jean-Marc Ayrault a récemment présenté en Conseil des ministres les grandes lignes d'un pacte d'avenir pour la Bretagne. Qu'en pensez-vous ?
GH : Nous ne connaissons pas encore le détail de ce pacte. Nous craignons qu'il ne soit pas à la hauteur des enjeux, étant donné les délais impartis pour son élaboration (quelques semaines). Le plan d'action de 2002 avait été construit avec l'ensemble des acteurs pendant un an et demi… On ne peut pas se passer d'un exercice en profondeur. Nous allons donc remettre en avant les orientations qui avaient été fixées dans ce plan, à l'occasion d'une réunion, organisée le 19 novembre par le préfet de région, sur le volet environnemental de ce pacte.
Plus concrètement, sur le plan nitrates, il ne faut pas revenir en arrière, car il a permis des améliorations et mérite d'être prolongé. Un volet méthanisation va certainement faire partie de ce plan. C'est un bon moyen de produire de l'énergie à partir des déjections animales mais cela ne réduit pas les quantités d'azote et n'a donc aucun impact sur la qualité de l'eau. A moins de transporter le digestat hors du territoire, mais cela réduit l'intérêt de cette solution. De plus, les quantités de matière organique disponibles (graisses animales, lisier de porc…) ne sont pas extensibles, à moins de suivre l'exemple de l'Allemagne en développant les cultures énergétiques. Mais on connaît l'impact de la culture de maïs sur l'azote (3) …
AE : Que préconisez-vous ?
GH : Nous devons avoir de l'ambition pour ce territoire qui est la première région agricole de France. Il faut appliquer les objectifs du Grenelle en matière de développement de l'agriculture biologique, aujourd'hui la Bretagne est très loin du compte (4) . Toutes les collectivités bretonnes doivent également s'engager dans un développement volontariste des circuits courts, qui permettront une amélioration de la qualité de l'eau mais aussi la création de débouchés pérennes pour les productions locales. Quant à la production laitière, qui concerne trois exploitations sur quatre, il faut mettre en œuvre le plan herbe qui permettra une amélioration de la valeur ajoutée et une réduction des intrants.
Ces mesures permettront d'engager la transition de l'agriculture dont la Bretagne a besoin. On ne pourra bien sûr pas changer en quelques mois un modèle agricole qui a mis quarante ans à atteindre son apogée, avec la mobilisation de tout un système bancaire, de la recherche… Il faut aujourd'hui s'appuyer sur tous les outils qui sont à notre disposition pour engager le changement. Nous sommes favorables notamment à ce que la Région acquière la compétence sur le volet distribution des aides de la politique agricole commune (PAC), car elle est la plus à même d'apprécier les enjeux et les objectifs.