L'agriculture urbaine, pourtant locale et communautaire, serait moins écologique que l'agriculture conventionnelle. Mais évidemment, des nuances existent et quelques ajustements suffiraient à inverser le constat. Cette conclusion émane d'une étude (1) publiée le 22 janvier 2024, dans la nouvelle revue Nature Cities, et menée par des scientifiques américains, anglais, allemands, polonais ainsi que trois chercheurs du laboratoire Sadapt (pour Adaptation des systèmes agroalimentaires) partagé entre l'université Paris-Saclay, l'école AgroParisTech et l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae).
D'après les auteurs de l'étude, entre 20 et 30 % de la population urbaine planétaire seraient engagés, de près ou de loin, dans une forme d'agriculture urbaine. Cependant, les données manquent sur les impacts éventuels de cette alternative agricole grandissante. « Les analyses en cycle de vie de l'empreinte carbone de l'agriculture urbaine demeurent rares, ont constaté les chercheurs. D'autant que celles qui s'y sont attelées se focalisent surtout sur les formes les plus "high-tech", avec des fermes verticales ou des serres en toiture, qui restent la minorité en matière d'agriculture urbaine. »
Une agriculture six fois plus carbonée
Pour y remédier et collecter les données nécessaires, les chercheurs se sont tournés vers la science participative, sollicitant, en 2019, les usagers de 73 sites d'agriculture urbaine « low-tech » (à l'air libre et en majorité au sol) installés dans six agglomérations (Paris, Nantes, Londres, New York, Gorzow Wielkopolski, près de la frontière ouest polonaise, ainsi que la région allemande Rhin-Rhur qui comprend Düsseldorf ou encore Cologne). Les sites concernés étaient essentiellement de trois formes : des fermes urbaines commerciales (avec une production d'environ quatre tonnes par an), des jardins individuels avec redistribution locale (avec une production moyenne de 164 kilogrammes par an) et des jardins partagés ou fermes collectives sur la base du volontariat (1,4 tonne par an). Chaque site était situé en intra-urbain et ne cultivait que des fruits ou des légumes.
Résultat ? En moyenne, l'empreinte carbone des fermes urbaines (toutes typologies confondues) est six fois plus grande que celle de cultures conventionnelles aux productions similaires. La première se chiffre autour de 0,42 kilogramme d'équivalent dioxyde de carbone par portion (calculée en fonction de la quantité journalière recommandée par personne selon les fruits ou légumes produits), contre 0,07 kgCO2e/portion pour la seconde. Les jardins partagés sont les plus mauvais élèves, avec une empreinte s'élevant à 0,81 kgCO2e/portion. L'empreinte des jardins individuels et des fermes urbaines commerciales se situe, quant à elle, autour de 0,34 kgCO2e/portion.
Le poids du dispositif
Comment les chercheurs sont-ils arrivés à une telle disparité ? Leur modèle d'analyse en cycle de vie (ACV) a pris en compte de nombreux critères : l'âge du site, son infrastructure (nombre et nature des supports, structures et équipements énergétiques), ses fournitures (en eau, en compost, en engrais et en carburant), le devenir des récoltes (en termes de transport), mais également des sites (s'ils ont été déplacés, détruits ou recyclés). En outre, « pour comparer l'empreinte carbone des fermes urbaines aux parcelles conventionnelles, nous avons composé chaque "portion" à partir des cinq fruits ou légumes les plus consommés dans chaque pays concerné, expliquent les chercheurs. Et par exemple, pour calculer l'empreinte d'oignons consommés en Allemagne issus de l'agriculture conventionnelle, nous avons considéré la part des oignons, vendus en supermarché, produits à l'échelle nationale et ceux importés depuis d'autres pays. »
En suivant cette méthode, les fruits et légumes délivrés par des fermes urbaines « sont toujours statistiquement plus carbonés que ceux issus de l'agriculture conventionnelle, même en considérant des importations par avion ». Et ce malgré quelques exceptions, en considérant des aliments spécifiques. Ainsi, la tomate cultivée en agriculture urbaine est légèrement moins carbonée (0,17 kgCO2e/portion) qu'une tomate issue de l'agriculture conventionnelle (0,27 kgCO2e/portion), nécessitant souvent des serres très énergivores. De même dans le cas des rares légumes importés par avion, comme l'asperge, pour lesquels l'écart se réduit considérablement entre ceux produits en fermes urbaines et ceux cultivés en agriculture conventionnelle.
Quid des bénéfices sociaux ?
S'ils ne les ont pas pris en compte dans leur ACV, les chercheurs reconnaissent les bénéfices socio-économiques des fermes urbaines, notamment en matière de bien-être, de lien social et d'équilibre alimentaire. « Comme le calcul des émissions de gaz à effet de serre se fait souvent en fonction de la création économique de valeur ajoutée, des espaces maximisant de tels bénéfices socio-économiques devraient clairement surpasser les avantages de l'agriculture conventionnelle », attestent les chercheurs.
L'utilisation du compost, en substitution des engrais synthétiques à la production souvent carbonée (et dont se passent 95 % des sites étudiés), n'est pas neutre non plus. « L'empreinte carbone du compost augmente drastiquement quand on prend en compte le méthane émis par les conditions anaérobiques de son stockage, rappellent les chercheurs. Des conditions souvent réunies avec le compostage à petite échelle des biodéchets urbains et qui représentent, par conséquent, le principal impact de 22 des 73 sites examinés. »
Enfin, l'approvisionnement en eau peut également avoir des conséquences sur l'empreinte carbone. Dans l'étude, quatre fermes urbaines avaient recours à des systèmes d'irrigation raccordés au réseau d'eau potable ou à des puits locaux, plutôt qu'à des réservoirs d'eau de pluie. Or, indiquent les scientifiques, la consommation énergétique nécessaire au pompage, au traitement, puis à la distribution de l'eau entraîne des émissions de gaz à effet de serre.
Des pratiques à privilégier
Le poids carbone de l'infrastructure d'un site, de ses apports ou de son irrigation n'est néanmoins pas irrémédiable. Dix-sept des 73 sites urbains étudiés avaient une empreinte carbone similaire ou inférieure à des parcelles conventionnelles aux productions similaires. Ces fermes urbaines qualifiées de « climate-friendly » (43 % de fermes urbaines commerciales et 25 % de jardins individuels) misaient surtout sur des infrastructures en matériaux recyclés localement, réduisant leur empreinte carbone de 52 % en comparaison des autres sites. « Si tous les sites observés s'appuyaient sur des déchets urbains recyclés, aucune forme d'agriculture urbaine ne serait plus carbonée que leur équivalent en agriculture conventionnelle. » Recourir à un compostage évitant les émissions de méthane pourrait également réduire de 39,4 % les émissions des fermes urbaines.