Depuis le début de l'épidémie du Covid-19, les compagnies aériennes européennes ont déjà négocié au moins 12,8 milliards d'euros d'aides de la part des gouvernements. C'est ce que démontre un outil de suivi (1) , publié le 22 avril par les ONG Greenpeace, Transport & Environment (T&E) et Carbon Market Watch. Cet outil fournit une liste des aides accordées aux compagnies aériennes selon les informations disponibles publiquement à ce jour. Les montants augmenteront encore puisque de nombreuses négociations sont en cours. Et selon l'association internationale de l'aviation (Iata), les compagnies aériennes auront besoin de 150 à 200 milliards de dollars d'argent public pour survivre à la forte réduction des voyages aériens causée par le Covid-19.
En France, le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, a confirmé, le 24 avril, l'injection de 7 milliards d'euros pour aider la compagnie Air France, sous forme de prêts bancaires garantis par l'État (4 milliards) ainsi que de prêts directs de l'État (3 milliards). « Aujourd'hui, le transport aérien français est un secteur en situation de survie à l'avenir incertain. Son effondrement représenterait une catastrophe sociale. L'Iata a ainsi rappelé que le transport aérien contribue à hauteur de 100 milliards à l'économie française et génère plus d'un million d'emplois », justifie la Fédération nationale de l'aviation marchande (Fnam).
Les volumes financiers en jeu dans ces sauvetages sont donc colossaux et interrogent sur les contreparties demandées par l'État, notamment en matière environnementale, surtout pour un secteur très émetteur de gaz à effet de serre.
Les émissions du secteur continuent à augmenter
Selon les chiffres publiés le 15 avril par l'association Transport & Environnement, les trois quarts des vingt compagnies aériennes européennes les plus polluantes en 2018 ont continué d'augmenter leurs émissions en 2019. Cette croissance est en contraste avec les autres secteurs soumis au système d'échange de quotas d'émissions (électricité et grande industrie) dans l'UE, qui ont baissé de 8,9 % dans l'ensemble. Au final, la pollution par le carbone provenant des vols en Europe a augmenté de 27,6 % depuis 2013. Pour Andrew Murphy, directeur de l'aviation chez T&E, « cette tendance reprendra après la crise, à moins que les gouvernements n'agissent maintenant pour limiter leur pollution ».
Une crainte que l'État français semble prendre en compte puisque Bruno Le Maire a assuré que ces aides ne seraient pas un « chèque en blanc » et qu'Air France devait devenir « la compagnie aérienne la plus écologique de la planète ». Mais comment tenir une telle promesse dans un secteur où les impacts environnementaux sont directement liés au nombre de vols ? « L'aviation est un secteur difficile car il n'a pas de solution technologique pour atteindre la neutralité carbone. Les technologies évoluent lentement à cause de la sécurité aérienne. C'est un secteur dépendant de la compensation carbone. C'est le seul secteur où une diminution de la demande faciliterait l'atteinte de la neutralité carbone », résumait Corinne Le Quéré, présidente du Haut Conseil pour le Climat, mi-avril, lors de la présentation de ses préconisations aux plans de relance. Réduire le nombre de vols ? Difficilement envisageable pour un secteur habitué à la croissance.
La compagnie Air France appelée à faire mieux
Selon Élisabeth Borne, des premières mesures auraient été décidées avec la compagnie aérienne française : « J'ai eu un entretien la semaine dernière avec les dirigeants d'Air France pour acter les engagements écologiques qui seront pris par la compagnie », explique la ministre de la Transition écologique, lundi 27 avril sur Europe 1. « Il s'agira de réduire les émissions par passager, réduire de 50 % les émissions d'ici 2024 sur les vols domestiques en renouvelant la flotte, en utilisant des biocarburants, et en menant une réflexion sur le réseau français pour aller vers la suppression des lignes quand il y a des alternatives de moins de 2 h 30 ». Des annonces très proches de ce qu'Air France a déjà prévu dans sa feuille de route, à savoir : « réduire de 50 % nos émissions carbone par passager d'ici 2030. En renouvelant 50 % de notre flotte d'ici 2025 pour des appareils plus modernes, jusqu'à 67 % plus légers, nous économiserons jusqu'à 25 % de carburant. Nous favorisons l'utilisation des biofuels et le développement de solutions innovantes. Nous nous engageons aussi, depuis le 1er janvier 2020, à compenser les émissions de carbone pour nos vols en France métropolitaine ».
« Le transport aérien français a pleinement conscience de sa responsabilité sociale et environnementale, défend toutefois la Fnam. Les compagnies se sont engagées résolument dans la transition écologique en conformité avec les grands objectifs écologiques internationaux et notamment l'Accord de Paris. » La Fnam rappelle qu'au cours des trente dernières années, l'empreinte carbone par passager et par kilomètre a été réduite de plus de 50 % et a baissé de 2 % en moyenne chaque année entre 2000 et 2017. « Avant la crise Covid-19, le transport aérien ne représentait que 2 à 3 % des émissions de CO2 mondiales (1,4 % des émissions de CO2 nationales, soit moins qu'Internet), et environ 4 % à 8 % actuellement", rappelle-t-elle.
De nombreuses idées sur la table
L'État aura-t-il le courage d'en demander plus ? Et de jouer la transparence ? Il peut en tout cas s'appuyer sur les nombreuses mesures prônées par les ONG, à l'instar de Green Cross qui publie dix propositions (2) pour verdir le secteur comme : instaurer une taxe carburant flottante (40 % quand le pétrole est sous 50 euros/baril, 20 % entre 50 et 80 euros/baril, 8 % au-delà) ; rendre obligatoire la compensation carbone pour tous les trajets intra-France (métropole et Outre-mer), au départ et à destination de la France ; ou encore, obtenir de l'ensemble des voyagistes qu'ils consacrent 10 % de leurs commissions à des projets de compensation à haute valeur écologique et sociale.
Le député Mathieu Orphelin (LREM) a lui aussi fait ses propositions. Dans une lettre adressée à Bruno Le Maire, il propose un plan clef en main pour ne pas faire « un sauvetage des emplois et du savoir-faire au détriment des ambitions climatiques de la France ». Il propose par exemple d'exiger l'intégration, dans la stratégie de l'entreprise, d'une hausse inéluctable de la fiscalité sur le carburant, d'annuler les projets d'extension des aéroports, d'augmenter la part des biocarburants de deuxième génération (fabriqués à partir de déchets de biomasse), ou encore d'exclure les voyages dispensables ou substituables de la stratégie commerciale.