« Le monde d'après sera certes sans carbone mais riche en métaux », résume Philippe Varin. L'ancien président de France Industrie vient de rendre au gouvernement son rapport sur la sécurisation de l'approvisionnement de l'industrie en matière premières minérales. Et le contexte sur lequel il s'appuie est tendu : « D'ici à 2030, nous aurons 13 millions de véhicules électriques en circulation en Europe. Nous aurons besoin de lithium, de nickel, de cobalt pour fabriquer leurs batteries, de même que des terres rares pour les aimants permanents des éoliennes offshore », rappelle le spécialiste.
Ces technologies de la transition écologique risquent, en effet, de multiplier par trois, voire quatre, nos besoins en matières premières critiques d'ici à 2030 alors que leur production se révèle soit dominée par un pays avec les risques politiques associés, soit insuffisante pour répondre à la demande. Ainsi, la République démocratique du Congo produit 70 % du cobalt mondial, tandis que la Chine extrait 90 % des terres rares. « L'UE est en retard par rapport à la Chine, qui a pris vingt ans d'avance en contrôlant 40 à 60 % de la chaîne d'approvisionnement en terres rares. 70 à 80 % des besoins européens viendront hors d'Europe », estime M. Varin. Et si le recyclage sur le Vieux Continent est une solution, il ne suffira pas au regard des besoins. À l'occasion d'une réunion rassemblant les filières amont et aval des batteries et des aimants permanents, Philippe Varin a donc proposé une série de recommandations pour sécuriser les approvisionnements à court terme. Surtout que plusieurs projets de gigafactories de batteries se développent en France, portés par ACC, Envision et Verkor.
Le gouvernement entend mettre en place trois recommandations sous l'égide d'un délégué interministériel à la Sécurisation de l'approvisionnement en métaux stratégiques, avec l'appui d'un Observatoire des métaux critiques, créé auprès du BRGM.
Prendre des parts dans les géants miniers
Les points que devra porter la France durant sa présidence de l'UE
Selon Philippe Varin, la stratégie française doit s'inscrire dans une dynamique européenne et certains points méritent d'être évoqués à l'occasion de la présidence française de l'Europe. L'Europe peut-elle prendre part au fonds d'investissement français ? Le règlement Batterie en cours de finalisation sera-t-il suffisamment précis sur leur empreinte CO2 pour faire le lien avec le concept de mine responsable ? La taxonomie européenne permettra-t-elle des financements conséquents dans le secteur minier ? Et enfin, à quand un règlement sur le recyclage des aimants permanents pour forcer, comme pour les batteries, à leur recyclabilité ?
En parallèle, Philippe Varin conseille de renforcer le concept de mine responsable pour bien choisir ses partenaires. « Attention, le concept de mine responsable n'est pas mis en œuvre par certains miniers, il ne faudra prendre des participations que dans celles avec label. » Le ministère de la Transition écologique entend donner une traduction dans une norme ou un label, certifiable, du concept de mine responsable, en lien avec le règlement Batteries en cours d'examen à l'échelle européenne.
Assurer, en France, la fabrication des éléments de base
Mais une fois les métaux entre ses mains, la France ne sera pas pour autant sortie d'affaire. Car entre le métal et la batterie, plusieurs étapes industrielles restent essentielles. « Il faut raffiner le métal, fabriquer les précurseurs des cathodes, les cathodes elle-mêmes, les membranes… Les gigafactories ne font qu'assembler ces éléments », explique Philippe Varin, qui préconise, dans son rapport, la création de deux plateformes industrielles spécialisées dans ces étapes. La première pourrait être installée à Dunkerque (Nord) pour alimenter 2 des 3 gigafactories de batteries qui seront implantées dans un rayon de 70 km (ACC, à Douvrin, Envision, à Douai). La seconde servirait à l'industrie des aimants permanents et pourrait voir le jour sur la plateforme industrielle de Lacq (Pyrénées-Atlantiques), où l'exploitation du gisement de gaz par Total va s'arrêter. « En Europe, nous avons une très faible production d'aimants et nous ne les recyclons pas, fait remarquer Philippe Varin. On pourrait commencer par faire du recyclage simple pour refaire des aimants, mais d'une qualité inférieure, ou un recyclage plus poussé. »
Planifier la recherche et les compétences
Et pour préparer les innovations industrielles de demain, le rapport préconise l'élaboration d'une feuille de route technologique pour développer les prochaines générations de batteries, cette fois-ci, moins gourmandes en matières premières critiques. Sans oublier, la question des compétences et formations à mettre en place, afin que toutes ces usines sortent de terre et trouvent à recruter le personnel adéquat.