Les scientifiques du CEREGE ont mené leurs travaux au niveau de l'Amérique centrale. Cette bande de terre étroite qui sépare l'océan Atlantique de l'océan Pacifique joue en effet un rôle clé dans le système climatique planétaire. Du côté de l'Atlantique, les eaux de surface s'évaporent ce qui provoque l'augmentation de leur salinité. Grâce aux alizés, ces vents intertropicaux soufflants d'Est en Ouest, la vapeur d'eau se déplace vers le côté Pacifique où elle retombe sous forme de pluie, diminuant la salinité de l'océan. Cet énorme transfert d'eau représentant plusieurs centaines de milliers de mètres cube par seconde maintient un contraste de salinité entre les deux océans. Les eaux de surface de l'Atlantique sont ensuite transportées, via le Gulf Stream, vers les hautes latitudes où elles réchauffent l'atmosphère avant de plonger vers les abysses au niveau des mers de Norvège, du Groenland et du Labrador.
Au cours de leurs travaux, les chercheurs du CEREGE ont reconstitué les variations de salinité des eaux de surface côté océan Pacifique, dans la zone de dépôt de la vapeur d'eau. Pour cela, ils ont travaillé sur les mesures réalisées dans les sédiments marins prélevés en 2002 à l'ouest de l'Isthme de Panama par le navire océanographique français Marion Dufresne. Cette étude montre que les périodes froides correspondent à des augmentations de salinité dans la zone Pacifique ce qui signifie une réduction du transfert de vapeur d'eau. En comparant leurs résultats à d'autres études réalisées dans le secteur Atlantique et en Amérique du sud, les chercheurs ont mis en évidence un mécanisme de rétroaction qui a amplifié la perturbation climatique. Lors des épisodes froids, les alizés chargés d'humidité se déplacent et soufflent plus au Sud. Dans ce cas-là, la vapeur d'eau se heurte à la Cordillère des Andes qu'elle ne peut pas franchir totalement. Par conséquent une partie des pluies qui normalement adoucissaient le Pacifique Est s'est déposée sur le bassin versant de l'Amazone. Cette rétroaction a eu pour effet de réinjecter les eaux de pluie dans l'Atlantique et de diminuer ainsi la salinité des eaux de cet océan. Cette différence de salinité a ensuite affecté le transport des eaux vers les hautes latitudes et a contribué à l'affaiblissement de la circulation océanique renforçant encore le refroidissement au-dessus et autour de l'Atlantique Nord.
Aujourd'hui, le fait que le réchauffement climatique pourrait perturber le cycle de l'eau et induire un ralentissement de la circulation Atlantique Nord est un réel sujet d'inquiétude. Les données océanographiques des 50 dernières années suggèrent que des changements hydrographiques (température et salinité) ainsi qu'une diminution du flux d'eau transporté par certains courants marins, en surface et en profondeur, se sont déjà produits en Atlantique Nord. Les chercheurs dont l'étude a été publiée dans Nature le 22 février dernier estiment que le risque d'une variation encore plus importante de la circulation océanique à l'échelle de la fin du siècle, ou du début du siècle prochain, doit être pris au sérieux et étudié activement.