Les résultats de la commission d'évaluation de l'impact du Ceta étaient très attendus. La mise en place de cette commission était en effet une promesse de campagne du candidat Macron qui disait avoir entendu les doutes et les incertitudes relatives au traité de libre-échange UE-Canada. Nommée le 6 juillet dernier, elle a remis le fruit de son travail (1) au Premier ministre, Edouard Philippe, ce vendredi 8 septembre.
La commission confirme les craintes des opposants à cet accord commercial dit "de nouvelle génération". "Les chapitres de l'accord concernant l'environnement (…) ne contiennent aucun engagement contraignant", relèvent les membres de la commission qui soulignent son "manque d'ambition". Ceux-ci constatent par exemple l'absence d'engagements à diminuer les subventions à la pêche ou aux énergies fossiles.
Le climat, grand absent de l'accord
"Le grand absent de l'accord est le climat", pointe la commission, qui énumère les carences : pas de mesures visant à limiter le commerce des énergies fossiles et la hausse des émissions de CO2 du transport, pas d'incitation à la mise au point de technologies moins émettrices de carbone, rien sur la convergence des instruments de lutte contre le changement climatique....
Concernant l'agriculture, le risque, soulignent les auteurs du rapport, est que le Ceta "ne fournisse pas des conditions favorables aux objectifs de la transition écologique". De plus, "la question des biotechnologies nécessite une vigilance particulière", souligne le rapport. Le Canada a en effet déjà décidé que les nouvelles techniques de génie génétique ne relevaient pas de la réglementation OGM.
Au final, "le Ceta est décevant ou franchement absent" sur les questions d'environnement et de climat, juge la commission qui formule un certain nombre de propositions. Parmi celles-ci figure la mise en place d'un comité de suivi du Ceta chargé d'une "veille sur les sujets sensibles" telles que les nouvelles techniques d'obtention de variétés génétiquement modifiées ou la classification des perturbateurs endocriniens. Le rapport préconise aussi un étiquetage informant sur les modes de production des produits d'origine animale.
Pour pallier les carences relatives au climat, les membres de la commission suggèrent d'introduire un "veto climatique" empêchant que les politiques climatiques des Etats ne puissent être entravées par les procédures sur le règlement des différends prévues dans l'accord. Dans l'hypothèse où une nouvelle discussion serait impossible, le rapport recommande la signature d'un accord climatique bilatéral UE-Canada. Enfin, la commission demande d'étudier les modalités d'interdiction ou de limitation d'usage des pétroles issus des schistes bitumineux d'outre-atlantique.
Bloquer l'application provisoire
Lors de sa campagne électorale, Emmanuel Macron avait indiqué qu'il tirerait toutes les conséquences des conclusions de la commission. "Je le porterai vers nos partenaires européens pour alors faire modifier ce texte pour que la vérité scientifique ainsi établie, et qui nous sera connue, puisse être défendue", avait ajouté le futur locataire de l'Elysée.
Plusieurs ONG et fédérations professionnelles montent par conséquent au créneau. Ainsi, la Fondation Nicolas Hulot (FNH), l'Institut Veblen et Foodwatch appellent le président de la République à renégocier le texte et à bloquer son entrée en vigueur provisoire. "S'il est tard à ce stade pour une ultime renégociation, c'est encore possible politiquement, à condition d'en faire une priorité, de bloquer l'application provisoire prévue le 21 septembre et de prévenir que la France ne pourra pas ratifier le texte en l'état", expliquent les ONG. La revendication est la même du côté de France Nature Environnement (FNE) outrée que le principe de précaution ne soit même pas mentionné dans l'accord.
"Nous demandons [au Président] de refuser l'application de cet accord, destructeur pour nos filières et allant à l'encontre de nos choix d'alimentation. Nous appelons par ailleurs les parlementaires, qui devront prochainement se prononcer sur le texte, à le rejeter au regard de ces conclusions", réagit également Dominique Langlois, président de l'interprofession du bétail et des viandes.
Une préconisation que semble partager le député LREM du Maine-et-Loire Matthieu Orphelin qui estime que "ratifier [l'accord] les yeux fermés serait une lourde erreur". Et ce proche de Nicolas Hulot d'ajouter : "Au Gouvernement et à nous, parlementaires, de prendre des décisions ambitieuses pour corriger ces effets potentiels néfastes du Ceta, en appliquant les recommandations des experts et en attendant l'avis de la Cour de justice européenne avant ratification".
Le Gouvernement indique, de son côté, qu'il présentera les enseignements qu'il tire de ce rapport le 13 septembre prochain à l'occasion du comité de suivi national des dossiers de politique commerciale, qui sera co-présidé par les secrétaires d'Etat Jean-Baptiste Lemoyne et Brune Poirson.
Entrée en vigueur provisoire
Signé par les représentants du Canada et de l'UE le 30 octobre 2016 après une résistance opposée par le parlement wallon, le Ceta a été ratifié par le Parlement européen le 15 février 2017 et doit entrer en vigueur de façon provisoire le 21 septembre prochain dans l'attente de sa ratification par les parlements nationaux.
L'accord a fait l'objet de nombreuses contestations, y compris devant les tribunaux. En France, saisi par plus d'une centaine de députés de gauche, le Conseil constitutionnel a estimé fin juillet que l'accord de libre-échange était conforme à la Constitution française et qu'il ne violait pas le principe de précaution.
La Belgique, de son côté, a saisi jeudi 7 septembre la Cour de justice de l'UE sur la compatibilité de l'accord de libre-échange avec les traités européens. Cette saisine porte sur le seul système de règlement des différends entre Etats et investisseurs. Plusieurs ONG poussent le gouvernement français à faire vérifier la compatibilité de l'intégralité de l'accord avec les traités de l'UE.