L'accord commercial entre l'Union européenne et le Canada (Ceta) "menace les normes sociales et environnementales commandées par le progrès", estiment 109 députés de gauche qui saisissent ce mercredi 22 février le Conseil constitutionnel.
"Un principe écrabouillé"
Alertés par les organisations non gouvernementales et épaulés par des professeurs de droit, les députés ont décidé d'appuyer leur action judiciaire sur quatre fondements pour contester le traité : le principe d'indépendance et d'impartialité des juges, le principe d'égalité devant la loi, les conditions d'exercice de la souveraineté nationale mais aussi le principe de précaution.
"Non seulement le Ceta ne contient aucune stipulation sur le principe de précaution « propre à garantir son respect par les autres autorités publiques » mais il contient aussi plusieurs stipulations méconnaissant ce principe", expliquent les députés. "Le principe de précaution à valeur constitutionnelle est écrabouillé", résume le député Front de Gauche André Chasseigne dans une formule dont il a le secret.
"Loin d'être une notion abstraite, le principe de précaution permet aux politiques d'interdire ou de réglementer des substances ou des procédés lorsqu'il s'agit de protéger l'environnement, ou les citoyens, face à un risque potentiel", explique l'association Foodwatch qui se félicite avec la Fondation Nicolas Hulot et l'Institut Veblen de "ce recours inédit". Sans le principe de précaution, il deviendrait par exemple vain de revendiquer l'interdiction du glyphosate (Roundup), de substances toxiques comme les huiles minérales, ou encore un étiquetage plus transparent des OGM, explique l'ONG.
"Le Canada élève des saumons OGM et refuse la traçabilité, on va donc manger des OGM sans le savoir", illustre l'écologiste Danielle Auroi. Et dans l'hypothèse où l'Etat français refuserait l'importation de ces saumons sur son territoire, les producteurs canadiens pourraient porter plainte contre la France devant le tribunal spécial institué par le traité, ajoute la députée du Puy-de-Dôme. Autre exemple ? Les gaz et pétroles de schiste. "On va importer du Canada ces hydrocarbures qui détruisent les forêts et portent atteinte aux réserves indiennes", s'indigne la parlementaire.
Bataille de longue haleine
Quelles peuvent être les conséquences de cette saisine ? Juridiquement, le Conseil constitutionnel dispose d'un mois pour statuer. Si la requête des parlementaires est rejetée, le processus de ratification du traité devant le Parlement français pourra être engagé.
Si les sages déclarent en revanche le Ceta incompatible avec la Constitution, sur le fondement du principe de précaution ou de l'un ou l'autre des moyens avancés, une révision constitutionnelle serait nécessaire avant toute ratification du traité par le Parlement. Les députés signataires de la saisine s'opposeraient à cette révision constitutionnelle. Ils demanderaient également la suspension de l'application provisoire du Ceta au Gouvernement et un nouveau processus de négociation aux instances européennes.
Quelle que soit la décision, il semble toutefois difficile pour les députés d'empêcher l'entrée en vigueur provisoire du traité programmée pour ce 1er mars. "La bataille sera de longue haleine, reconnaît André Chasseigne, mais elle pourra être raccourcie si le Conseil constitutionnel répond de façon favorable".
Au-delà de la question de la mise en œuvre technique du texte, l'enjeu est avant tout politique, souligne Danielle Auroi. La Commission européenne, qui a jusque là refusé une saisine de la Cour de justice de l'UE, ne pourra faire fi ni des décisions de justice nationale ni de la mobilisation citoyenne en œuvre à travers plusieurs autres pays d'Europe comme l'Allemagne, la Belgique ou les Pays-Bas, estime la députée écologiste.