Les recours climatique se multiplient. Selon le Sabin Center for Climate Change Law, plus de 900 plaintes et recours liés à ce combat ont été lancés durant la dernière décennie. Ce jeudi 24 mai, c'est au tour de dix familles, européennes mais aussi africaine et du Pacifique, auxquelles se joint l'association suédoise des jeunes Sami, d'assigner en justice le Parlement et le Conseil devant le Tribunal de l'Union européenne.
Leur grief à l'encontre des institutions européennes ? L'inadéquation, par rapport à l'urgence climatique, de l'objectif climat de l'UE pour 2030, actuellement fixé à une baisse de 40% des émissions de gaz à effet de serre. Un objectif jugé insuffisant pour protéger les droits fondamentaux liés à la vie, à la santé, au travail et à la propriété. "Il faudrait viser un objectif de -55% de réduction des émissions par rapport à 1990", indique Marie Toussaint, présidente de l'association Notre affaire à tous.
Responsabilité non contractuelle de l'Union
Concrètement, les requérantes réclament l'annulation de trois textes : la directive du 14 mars 2018 qui révise le système d'échange de quotas d'émissions de gaz à effet de serre de l'UE, ainsi que deux règlements à paraître sur le partage de l'effort de réduction entre les Etats membres et sur l'utilisation des sols. Les familles recherchent également la responsabilité non contractuelle de l'Union du fait que des dommages aux biens et à la santé, ainsi que des pertes de revenus, sont déjà imputables aux changements climatiques. Le Traité sur le fonctionnement de l'UE prévoit en effet qu'"en matière de responsabilité non contractuelle, l'Union doit réparer (…) les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l'exercice de leurs fonctions".
Les familles sont épaulées par la fédération d'associations européennes CAN Europe et défendues par trois avocats allemands et britannique. L'ONG allemande Protect the Planet prend en charge les coûts de la procédure, tandis que Okö Institute et le think tank Climate Analytics apportent leur expertise scientifique afin de constituer les preuves permettant de montrer comment les familles requérantes sont impactées par les changements climatiques.
"Nous avons perdu 40% de nos revenus en six ans"
Ces dommages sont déjà tangibles pour ces dernières. Ainsi, la famille Qaloibau, qui vit sur une île des Fidji, a perdu son restaurant et son bateau lors du cyclone Tomas en 2010, puis ses terres lors du cyclone Xinston en 2016. La famille kenyane Guyo, quant à elle, fait face à des vagues de chaleur de plus en plus fréquentes et extrêmes qui menacent les ressources en eau, mettant en péril leur santé ainsi que leur élevage de chèvres.
Mais il n'est pas nécessaire d'aller à l'autre bout du monde pour constater des dommages. "Nous avons perdu 44% de nos revenus en six ans du fait des changements climatiques", explique Maurice Freschet, dont la famille cultive la lavande à Grignan (Drôme) depuis cinq générations. L'agriculteur, aujourd'hui retraité et qui a transmis son exploitation à son fils, explique que la durée de vie des plants qui était de plus de 20 ans lorsqu'il a commencé son activité, est désormais de trois à quatre ans.
Parmi les autres requérants figure la famille allemande Recktenwald, dont le complexe hôtelier situé sur une île de la mer du Nord est menacé par la montée des eaux, la famille italienne Elter dont les activités touristiques dans les Alpes pâtissent du manque de neige et de glace, ou encore la famille roumaine Vlad dont les activités d'élevage sont également menacées par la hausse des températures.
Reste à voir l'accueil que le Tribunal de l'Union européenne réserve à cette action. "C'est la toute première action en justice pour le climat au niveau de l'Union européenne, la première également à soulever la responsabilité de l'Union d'agir pour l'ensemble des citoyens du monde", explique Marie Toussaint. Une fois l'obstacle de la recevabilité passé, viendra celui de la preuve. "La question probablement la plus délicate" dans ce type d'affaires, expliquait l'avocat Christian Huglo à Actu-Environnement en février dernier.