La décision (1) est emblématique des contentieux pour la justice climatique. La Cour suprême des Pays-Bas a rejeté, vendredi 20 décembre, le pourvoi de l'État néerlandais contre la décision d'appel lui ordonnant de réduire les émissions de gaz à effet de serre d'au moins 25 % d'ici fin 2020, par rapport à 1990.
Une décision emblématique car elle clôt une procédure par laquelle 886 citoyens néerlandais ont obtenu, pour la première fois au monde, une décision de justice contraignant un État à agir pour prévenir les changements climatiques. Le jugement de première instance dans cette affaire, portée par l'association Urgenda, a été rendu en juin 2015. Depuis cette date, les contentieux climatiques se sont multipliés à travers le monde, en premier lieu aux États-Unis et en Australie. Ils dépassent même le nombre de 1 300, selon un décompte publié en juillet dernier par le Grantham Institute.
Le nombre de ces actions augmente aussi dans l'Union européenne, à l'exemple de l'Affaire du siècle en France, un recours contre l'État déposé par quatre associations qui se sont appuyées sur une pétition ayant recueilli plus de deux millions de signatures. Si ce type d'actions présente parfois une dimension plus politique que juridique, comme le montre l'échec devant les tribunaux de nombreuses d'entre elles, cette décision ouvre toutefois des perspectives.
« Impact sérieux sur les droits à la vie »
La Cour suprême des Pays-Bas a fondé sa décision sur la Convention des Nations unies sur le climat, ainsi que sur la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) qui impose aux États parties de protéger la vie et le bien-être de leurs citoyens. Selon la décision de la juridiction batave, les juges d'appel étaient compétents pour imposer à l'État néerlandais une réduction des émissions de gaz à effet de serre plus stricte que celle de 20 % qu'il défendait. En effet, le risque de changement climatique dangereux pourrait avoir un impact sérieux sur les droits à la vie et au bien-être des résidents des Pays-Bas.
Suite à cette décision, le gouvernement néerlandais va être contraint de prendre des mesures supplémentaires pour combler l'écart existant entre sa trajectoire actuelle et celle ordonnée par les juges, fondée sur un consensus scientifique. En 2018, les émissions des Pays-Bas n'étaient que de 15 % inférieures au niveau de 1990, pointe Urgenda. La loi que le gouvernement a adopté dix jours avant cette décision pour interdire l'utilisation du charbon pour la production d'électricité, avec des échéances à 2025 et 2030, ne va donc pas suffire. Selon l'ONG, la fermeture des centrales à charbon ouvertes en 2015 et 2016 s'impose désormais.
« La décision judiciaire la plus importante au monde »
Cette décision, qui contraint le gouvernement néerlandais, a des répercussions beaucoup plus larges. « Il s'agit de la décision judiciaire la plus importante au monde en matière de changements climatiques à ce jour, confirmant que les droits de l'homme sont menacés par l'urgence climatique et que les nations riches sont légalement tenues de réaliser des réductions d'émissions rapides et substantielles », réagit David R. Boy, rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l'homme et l'environnement.
« Après les pourparlers de l'ONU sur le climat à Madrid, l'urgence d'intensifier nos efforts pour réduire les émissions de gaz à effet de serre ne pouvait pas être plus claire. Nous courons un risque réel de ne pas respecter nos engagements au titre de l'Accord de Paris et de provoquer des souffrances humaines indicibles », avertit Mary Robinson, ancienne Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme.
« Un précédent qui pèsera très lourd »
« Cette décision historique montre que le recours à la justice est un outil effectif aux mains des citoyens, nous permettant, face à l'incapacité de nos gouvernants à prendre la mesure du défi climatique, de les contraindre par le droit à l'action », réagit Marie Pochon de Notre Affaire à tous, l'une des associations qui porte l'Affaire du siècle en France. Un an après le lancement de ce contentieux, ces dernières indiquent toujours attendre une réaction de l'État « qui devra désormais se défendre de son respect de la Convention européenne des droits de l'homme malgré encore + 4,5 % de hausse de gaz à effet de serre en 2018 ».