"Le juge des référés du Conseil d'État suspend le refus du ministre d'immatriculer les Mercedes classes A, B, CLA et SL et enjoint de permettre cette immatriculation dans les deux jours". C'est ce qu'indique le Conseil d'Etat qui vient de rendre ce mardi une ordonnance favorable à Mercedes (1) dans le litige qui l'oppose au gouvernement français au sujet de l'homologation des nouveaux modèles Mercedes utilisant le gaz réfrigérant R134a, interdit en Europe depuis le 1er janvier 2013.
Le juge des référés a considéré qu'il existe un doute sérieux sur la légalité de la décision prise par le gouvernement et que l'urgence se justifie. Il a donc suspendu la décision empêchant depuis mi-juin les immatriculations des Mercedes classes A, B, CLA et SL.
Pas de nuisance grave pour l'environnement
Selon le juge des référés, le décision ministérielle s'appuie sur une application inexacte de l'article R. 321-14 du code de la route, qui permet au ministre chargé des transports de déroger temporairement à la libre commercialisation et à la libre mise en circulation des véhicules lorsque les véhicules, systèmes ou équipements en cause "compromettent gravement la sécurité routière ou nuisent gravement à l'environnement ou à la santé publique".
Le juge ne suit pas les pouvoirs publics qui estiment que le fait que les véhicules utilisant le gaz aujourd'hui interdit émettent environ 650 kg de plus de CO2 sur leur durée de vie que ceux équipés du nouveau gaz représente un danger pour l'environnement. "Les quelque 4.500 véhicules dont l'immatriculation est actuellement bloquée émettraient ainsi de l'ordre de 2.800 tonnes équivalent CO2", rappelle l'ordonnance du Conseil d'Etat. Or, sur l'ensemble des véhicules immatriculés en France en 2013, seuls les nouveaux modèles (soit 6% des véhicules neufs commercialisés en 2013) utilisent le nouveau gaz réfrigérant, soit 1,74% des immatriculations. "Dans ces conditions, (…) il n'apparaît pas que la mise en circulation en France des véhicules concernés par la décision contestée puisse être regardée comme étant de nature, par elle-même, à nuire gravement à l'environnement", indique l'ordonnance.
Quant à la distorsion de concurrence dont bénéficierait Mercedes vis à vis de ses concurrents qui respectent la nouvelle règlementation européenne, le Conseil d'Etat explique que de tels arguments "sont étrangers aux motifs limitativement énumérés par l'article R. 321-14, lesquels sont seuls susceptibles de justifier des refus d'immatriculation temporaire en application de cette clause de sauvegarde".
Enfin, l'urgence est justifié par "la persistance du blocage [qui ne peut] qu'exposer la société ainsi que le réseau de ses distributeurs à des annulations de commandes ainsi que des pertes de ventes et de clients, leur occasionnant ainsi, de manière suffisamment certaine et alors même que la décision contestée n'a qu'une portée temporaire, un grave préjudice commercial, financier et d'image", explique le Conseil.
Le ministère des Transports prend acte de la décision du juge des référés au Conseil d'Etat. "L'immatriculation de ces véhicules est par conséquent autorisée de manière temporaire sur le territoire national, jusqu'à la décision définitive du Conseil d'État", explique-t-il, ajoutant cependant que "la décision du Conseil d'Etat ne préjuge en rien du fond du dossier. Le juge des référés a en effet constaté dans sa décision qu'il n'était pas habilité pour se prononcer sur la légalité des décisions des autorités allemandes qui ont autorisé l'homologation des véhicules".
Application d'une directive de 2006
A l'origine de la polémique entre Mercedes et la France se trouve l'application de la directive européenne 2006/40/CE relative aux émissions provenant des systèmes de climatisation des véhicules à moteur. Le texte stipule que le gaz réfrigérant hydrofluorocarbone (HFC)-134a (le R134a) doit être remplacé par un autre gaz. En cause, le potentiel de réchauffement global du R134a qui culmine à 1.300, alors que la directive stipule que "les systèmes de climatisation installés dans des véhicules réceptionnés le 1er janvier 2011 [date reportée au 1er janvier 2013 en raison des difficultés d'approvisionnement, ndlr] ou après cette date ne contiennent pas de gaz à effet de serre fluorés dont le potentiel de réchauffement planétaire est supérieur à 150".
Alors qu'en septembre 2012 Daimler a fait part de son intention de continuer à utiliser le R134a, l'agence fédérale allemande pour l'automobile lui a accordé une autorisation d'utilisation. Selon l'AFP, aucun pays, hormis la France en juin 2013, n'a soulevé de difficulté. Pour sa part, l'exécutif européen a écrit au gouvernement allemand pour "lui dire ce qui ne va pas avant de déclencher une procédure d'infraction", a indiqué le commissaire européen à l'Industrie, Antonio Tajani. Les autorités allemandes disposaient alors de dix semaines, soit jusqu'au début du mois de septembre, pour se mettre en règle.
Les véhicules Mercedes de type Classe A, B, CLA et SL ne sont plus immatriculés en France depuis juin en raison de l'utilisation dans leur système de climatisation du gaz réfrigérant R134a, interdit depuis le 1er janvier (voir encadré). "Seules les nouvelles voitures font l'objet de cette mesure", précisait en juillet à l'AFP un porte-parole de Daimler, ajoutant que le constructeur automobile allemand fournissait des voitures d'un autre modèle à ses clients confrontés à l'impossibilité d'immatriculer les voitures concernées. Aujourd'hui ce sont quelque 4.500 véhicules qui attendent de pouvoir être immatriculés, dont 2.700 ayant déjà trouvé acquéreur.
Le ministère de l'Ecologie a décidé en juin 2013 de suspendre provisoirement la délivrance du code national d'identification nécessaire à l'immatriculation de véhicules sur le territoire national. Dans la foulée, le tribunal administratif suspendait la mesure, poussant le gouvernement à utiliser les grands moyens : appliquer la "clause de sauvegarde" prévue par la directive en attendant une position claire de la Commission européenne sur l'application de la réglementation européenne concernant les gaz réfrigérants. La Commission "a récemment déclaré inacceptable et contraire à l'esprit de la directive les démarches menées par Daimler et a rappelé le cadre juridique permettant aux États membres de mettre en œuvre une clause de sauvegarde", expliquaient alors les services de Roquelaure.
Daimler et ingénieurs automobiles divisés
Daimler refuse d'utiliser le nouveau gaz R1234yf car il serait facilement inflammable et, en cas d'accident, le véhicule pourrait rapidement prendre feu, selon des tests menés par le groupe. Pour l'instant, il n'existerait pas d'alternative sûre et efficace, avance Mercedes qui espère qu'un nouveau produit moins inflammable pourra être utilisé "au cours des prochaines années". Cet argument avait déjà été avancé par l'eurodéputée EELV Michèle Rivasi qui en janvier 2012 indiquait que le R1234yf s'enflammait à basse température (405°C) et que son inflammation produisait du fluorure d'hydrogène, qui se transforme en acide fluorhydrique, extrêmement toxique et corrosif. "On va remplacer un gaz toxique pour la planète parce qu'il émet beaucoup de CO2 par un autre produit qui est inflammable et très toxique en cas d'incendie au contact de l'eau. En cas d'accident, les conséquences seront dramatiques, à la fois pour le conducteur et pour les pompiers", expliquait-elle.
De leur côté, les fabricants du R1234yf, Honeywell et Dupont qui détiennent les brevets, ont procédé à des tests qui, selon eux, contredisent les affirmations de Daimler. De même, la Société des ingénieurs automobiles (la SAE International) a mis en place en 2012 un groupe de travail sur la sécurité du R1234yf. En février, la SAE International expliquait poursuivre ses travaux d'évaluation des risques potentiels associés à ce gaz réfrigérant, tout en indiquant que "le haut niveau de confiance dans le fait que le R1234yf puisse être utilisé de façon sûre dans les applications automobiles continue de croître". Et de conclure que "le R1234yf ne pose pas de risques plus importants que les autres fluides du compartiment moteur". Des propos qui, pour l'instant, n'ont pas convaincu Daimler.