Bien que le phénomène soit préoccupant dans la plupart des pays tropicaux, les taux de déforestation diffèrent fortement. En Asie certains pays ont un taux très élevé d'environ 2% par an (Indonésie) mais d'autres voient au contraire un accroissement de leurs superficies forestières (Chine, inde). Le bassin amazonien est un cas emblématique, et le Brésil a enregistré ces dernières années une déforestation de plus de trois millions d'hectares annuellement (environ 25% de la déforestation dans le monde). Les pays du bassin du Congo ont été relativement préservés jusqu'à présent, mais devraient voir le phénomène s'aggraver avec le développement économique de la région. Notons aussi que les forêts tropicales contiennent des stocks importants de carbone bien que des contrastes existent là aussi : le carbone de la biomasse vivante atteint une moyenne de 110tC/ha en Amérique du sud, 77tC/ha en Asie du sud et du sud-est, et 155 tc/ha en Afrique du sud et centrale.
Ce phénomène de la déforestation, qui intervient quasi-exclusivement dans les pays en développement - les pays industrialisés tels que la France voyant leur couvert forestier augmenter - est donc devenu logiquement un sujet important des négociations devant mener à un accord global à Copenhague en décembre 2009. Les discussions se sont cristallisées autour d'un mécanisme de financement répondant à l'acronyme REDD (Réductions des Emissions issues de la Déforestation et de la Dégradation).
La situation peut être résumée ainsi : alors que « les responsabilités communes mais différenciées » entre pays sont un des principes incontournables des négociations climatiques, il est acquis que dans un premier temps les efforts de réduction des émissions liées à la déforestation tropicale seront financés par les pays industrialisés. Ainsi, le mécanisme REDD a pour objectif d'organiser le transfert de ressources financières des pays industrialisés vers les pays en développement.
Le débat sur le fonctionnement de ce mécanisme a tendu depuis 2006 à opposer deux voies : d'un côté la création d'un Fonds international abondé par de l'argent public et chargé du financement des politiques publiques ; d'un autre côté l'élaboration d'un mécanisme de marché chargé d'organiser la distribution de crédits carbone qui seraient commercialisables sur les marchés internationaux du carbone.
Mais alors que l'option dite de marché fut favorisée dans un premier temps, les termes du débat ont évolué récemment. Le marché était censé permettre de lever des ressources financières bien plus importantes que par le passé, et de fonctionner sur un mode incitatif présumé le seul capable de « convaincre » les pays forestiers d'agir effectivement contre le problème.
Mais la réalité a progressivement rattrapé cette construction reposant sur des bases toutes théoriques, mettant en évidence l'impossibilité de résoudre un tel problème par le haut et par la finance. Ainsi, il y a aujourd'hui un relatif consensus sur le besoin de passer par des phases transitoires dont l'objectif, certes plus modeste en apparence, sera d'aider les pays en développement à élaborer des stratégies nationales et à avoir les capacités (aussi bien techniques qu'humaines ou politiques) de les mettre en œuvre. En effet, et pour le dire crûment, les négociations des trois dernières années ont focalisé sur l'accès à l'argent en oubliant complètement de stimuler la réflexion sur les moyens d'utiliser cet argent pour lutter la déforestation tropicale. Mais le changement de cap devrait être entériné à Copenhague. Espérons-le tout du moins.
Le dossier REDD fut présenté très tôt dans le cours des négociations comme un dossier « technique », en partant du principe que seules les questions de mise en œuvre devaient être résolues - méthodes de mesure des stocks de carbone, suivi de la déforestation, élaboration des scénarios de référence, inclusion des nouveaux crédits carbone dans les marchés existants, etc. - alors que les autres questions plus politiques étaient supposées soit faciles à trancher (on confie le financement au marché) soit hors sujet (les politiques domestiques sont souveraines).
Un grand nombre de pays en développement ont appuyé cette manière de procéder, en particulier les pays regroupés sous la Coalition of Rainforest Nations. Ces pays plaidaient pour que des règles simples soient fixées, afin que leurs résultats (déforestation observée comparée à une valeur de référence) soient récompensés avec la distribution de crédits carbone commercialisables. La Banque Mondiale a appuyé ce processus en mettant sur pied un fonds (FCPF, Forest Carbon Partnership Facility) chargé de financer des projets pilote, d'aider les pays à se préparer au mécanisme REDD, et de racheter à l'avenir les crédits carbone.
Par ailleurs, d'autres initiatives ont vu le jour tel que le programme onusien UN-REDD consistant à aider les pays à participer au processus REDD et à renforcer leurs capacités. Ajoutons à cela un bourgeonnement de projets de conservation forestière labellisés REDD, et qui visent soit à multiplier les expériences pour contribuer au débat, soit à anticiper le futur mécanisme afin d'en obtenir par la suite des bénéfices financiers ou simplement un moyen pour des ONG de financer les programmes de conservation.
En attendant que le changement de cap soit entériné à Copenhague - i.e. soutien dans l'élaboration/mise en œuvre des politiques et mesures plutôt que mise en place d'un marché pour le financement - les négociations continuent à traiter d'aspects techniques : sur le périmètre du mécanisme (inclusion de l'accroissement des stocks de carbone par des pratiques sylvicoles adéquates), la mise au point des modalités de mesure et suivi des émissions, ou la constitution de mesures de sauvegarde pour protéger les droits des populations indigènes (pour n'en citer que quelques unes).
Bien que ces points soient souvent pertinents à discuter, ils risquent de faire passer à côté du réel problème à l'origine des émissions substantielles provoquées par la déforestation : la concurrence sur l'usage des terres. Il est aujourd'hui avéré que l'expansion agricole, ainsi que dans une moindre mesure le développement des cultures pour les bioénergies, sont la cause première (et de loin !) de la déforestation.
Pourtant les leçons d'un tel constat ne sont pas encore tirées, puisque les discussions sur REDD sont isolées de celles sur l'agriculture, ou les bioénergies. C'est pourtant bien là que réside le salut des forêts tropicales, avec la nécessité de très rapidement investir dans la R&D et de diffuser les meilleures techniques pour accroître les rendements agricoles à l'hectare, tout en donnant les capacités aux pays en développement de définir des plans d'usage des sols cohérents, en s'appuyant sur la clarification des droits de propriété très largement sous le contrôle de l'Etat dans les principaux pays forestiers tropicaux.
Romain Pirard
Docteur en économie de l'environnement, économiste à l'Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI)