Force est de constater que si le rapport du GIEC a pu mettre en œuvre un mouvement politique de grande ampleur, il apparait moins à même de rallier l'ensemble de l'opinion. Une première explication est sans doute que le débat public mélange pêle-mêle des anxiétés de nature très variées, pas toujours d'ordre scientifique. Certaines concernent l'avenir de la planète, bien sûr, mais d'autres sont un peu différentes : réaction face à un catastrophisme ressenti comme oppressant et face à un discours qui devient facilement moralisateur et culpabilisant, inquiétude face à des mesures qui pourraient avoir des effets injustes, soupçons face à une négociation que l'on considère parfois comme l'outil d'un nouveau capitalisme vert, …. Face à ces peurs l'unanimisme apparent de la communauté scientifique parait soudain un peu étrange, générateur de soupçons.
Un deuxième facteur d'incompréhension tient certainement aussi à la difficulté de poser le problème scientifique selon une chronologique qui soit comprise par tous. Sur les plateaux de télé, dans les journaux, inlassablement, on oppose les gens qui croient que « LE » réchauffement climatique est d'ordre anthropique, lié aux émissions massives de gaz à effet de serre, et ceux qui croient qu'il a une autre cause, naturelle. Mais de quel réchauffement climatique parle-t-on ? Passé, présent, futur ? Nous sommes face un processus rapidement évolutif, dont les premières conséquences majeures sont attendues dans les décennies qui viennent, et se prolongeront inévitablement bien au delà. A la fin de la deuxième guerre mondiale, les émissions annuelles de CO2 se chiffraient à 1 milliard de tonnes de carbone environ. En 2008 elles se sont approchées de 10 milliards de tonnes (si l'on tient compte la part de la déforestation). Elles ne cessent de croître, portées maintenant par le développement des pays émergents. Or le CO2 à une durée de vie atmosphérique de 100 ans (la moitié de ce qui est émis circule encore dans l'atmosphère après 100 ans) et il se stocke dans l'atmosphère durablement. Il en va de même pour les autres gaz à effet de serre (oxydes nitreux, fréons, voire le méthane qui a toutefois une durée de vie plus courte : environ 10 ans). Si l'on ajoute le temps qu'il a fallu aux gaz à effet de serre pour s'accumuler de manière importante dans l'atmosphère, à celui nécessaire pour que les couches de surface de l'océan, chauffées par le soleil et empêchées de se refroidir par l'effet de serre, voient effectivement leur température augmenter, ce n'est que récemment, dans les deux dernières décennies, que le climat de planète à commencé à manifester une réponse claire et observable aux activités humaines (dans les régions Arctiques en particulier). Bien sûr cette première phase voit le mélange difficile à débrouiller de la variabilité naturelle du climat avec les débuts de l'impact des activités humaines. Faire la part de ces deux processus occupe d'ailleurs une communauté nombreuse dans nos laboratoires. Mais la question posée à Copenhague n'est tout simplement pas celle là. Elle est : que doit-on faire face au risque de réchauffement futur que fait peser l'augmentation effrénée de nos émissions de gaz à effet de serre. Elle est aussi : que doit-on faire face à la part des changements climatiques qui est désormais inévitable à échéance des prochaines décennies, menaçant des pays qui n'ont aucune responsabilité dans ce processus. Il ne s'agit pas d'un avenir lointain : beaucoup d'études montrent que le climat de la Terre commencera à se modifier très sensiblement et de manière irréversible lorsque la température globale de la planète dépassera 2°C. Ce seuil sera atteint en 2050 si nous laissons les évolutions actuelles se continuer. Cela semble nous laisser 40 ans, mais en fait notre machine climatique ne peut ralentir d'un coup : il faudra plusieurs décennies pour stopper son évolution. Nous sommes donc face à des décisions urgentes, mais que motive un regard vers le futur plutôt que vers le passé.
Les arguments des sceptiques (à quelques rares exceptions près) préfèrent souvent ignorer les prévisions des modèles, et se concentrer sur des observations plus ou moins récentes. La capacité à anticiper notre avenir repose pourtant sur une fondation simple, solide, et très différente : l'observation du stockage atmosphérique de gaz à effet de serre, un processus très lentement réversible et très largement prévisible. Dans ce contexte, les incertitudes scientifiques qui demeurent et demeureront encore dans les années à venir doivent être prises pour ce qu'elles sont : l'expression d'un risque, que nous prendrons ou ne prendrons pas, auquel nous nous préparerons ou nous ne nous préparerons pas. Il est normal de débattre, mais il faut toujours être précis sur l'objet même des débats. En l'occurrence il s'agit bien des conditions dans lesquelles vivront les générations futures.
Hervé le Treut
Directeur du laboratoire de météorologie dynamique (CNRS, université Pierre-et-Marie-Curie)