Après son rapport d'étape, présenté le 30 juin 2011, la mission parlementaire sur la sécurité nucléaire consacre le second volet de son étude à l'avenir de la filière nucléaire française. Cette mission, menée sous l'égide de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (OPECST), est présidée par Claude Birraux, député (UMP) de Haute-Savoie, entouré des rapporteurs Christian Bataille, député (PS) du Nord et Bruno Sido, sénateur (UMP) de Haute-Marne. Elle a auditionné des experts le 3 novembre dans le cadre de la préparation de cette étude, afin de mesurer les besoins futurs en électricité.
La présentation inaugurale de Pierre-Franck Chevet, directeur général de la DGEC (Direction générale de l'énergie et du climat), s'est fondée sur les données fournies par le bilan prévisionnel 2011 de RTE (1) (Réseau de transport de l'électricité). Selon le scénario de référence de RTE, la consommation globale d'énergie croît en moyenne de 0,6% par an d'ici à 2030, soit de 3,2 TWh par an. Ce qui conduit à une consommation de 523 TWh en 2020 et de 554 TWh en 2030.
Le directeur général de la DGEC a appelé l'attention des parlementaires sur ce qu'il considère être un sujet majeur pour l'avenir : la question de la puissance appelée. Actuellement, le réseau électrique présente 0,4 gigawatts de puissance manquante. La sécurité d'approvisionnement de la France devrait être maintenue jusqu'à 2015. Dès 2016, le risque de défaillance dépasse le seuil acceptable, avec une puissance manquante de 2,7 GW. Cette situation s'explique principalement par la décrue du parc thermique français à l'horizon 2016. Les importations capables de secourir le système français se réduisent progressivement jusqu'à environ 4 GW en 2016.
Une facture énergétique de 60 milliards d'euros par an
L'étude prospective de RTE envisage une érosion significative du parc nucléaire à l'horizon 2030, retenant l'hypothèse d'une puissance installée d'environ 40 GW, compensée par un développement renforcé des énergies renouvelables, avec des objectifs de 40 GW d'éolien et 25 GW de photovoltaïque en 2030, assortie d'une forte maîtrise des consommations d'énergie (MDE) et d'un renforcement des capacités d'échanges transfrontaliers. Au total, la France dépense quelque 60 milliards d'euros par an pour avoir de l'énergie, tandis que les dépenses en faveur de la transition énergétique se montent à 4,5 milliards d'euros par an. "La prospective électrique est bien intégrée dans la réflexion publique française", en conclut M. Chevet, pour qui l'objectif est de réaliser une réduction de 17% des consommations d'énergie d'ici à 2020 par rapport à un scénario pré-Grenelle.
Le point de vue de l'Union française de l'électricité, représentée par son président Robert Durdilly, se fonde sur trois grands types d'évolution : des transferts d'usage du fuel vers l'électricité qui tendent à faire augmenter la demande ; une croissance médiane ; une maîtrise de la demande énergétique sur la base de la réalisation de 50% des objectifs du Grenelle, qui porterait la consommation électrique à 570 TWh en 2030 (soit une hausse de 0,8% par an). Au total, ceci reviendrait à un besoin supplémentaire de 30 GW en périodes de pointe. Ce qui requiert, selon M. Durdilly, une accélération des mesures de maîtrise de la demande énergétique, afin de faire baisser les coûts des équipements, structurer les filières d'installation en aval, agir sur les comportements pour que la MDE ne repose pas que sur les fournisseurs. Ces mesures reviendraient à quelque 150 milliards d'euros d'investissement pour réaliser les mesures de MDE prévues par le Grenelle de l'environnement.
Des TIC très énergivores
L'évolution de la consommation électrique est liée à ses nouveaux usages. C'est ainsi que les technologies de l'information et de la communication (TIC), souvent perçues comme permettant de réduire les déplacements et les consommations de papier, n'ont, de fait, pas transformé ces usages. Selon Florence Rodhain, maître de conférence à l'université de Montpellier, auditionnée par l'OPECST, "toutes les données montrent qu'on consomme toujours plus de papier et de déplacements". Qu'en est-il de la consommation électrique générée par les TIC ? Elle est souvent sous-estimée par les usagers. Savent-ils qu'un avatar dans Second Life consommerait autant d'électricité que deux brésiliens et huit camerounais ? Sait-on que télécharger sur son ordinateur la version électronique d'un quotidien consomme autant d'électricité que de faire une lessive ? Quant à une recherche sur Google, elle équivaudrait à une heure d'ampoule à basse consommation. C'est ainsi que les TIC (informatique, télécommunications, audiovisuel) sont redevables de 13,5% de la consommation électrique française (chiffres 2008). En 2012, les TIC représenteront 20% de la consommation électrique française. Les serveurs sont très énergivores : leur consommation augmente de 15 à 20% par an. La moitié des 4 TWh consommés chaque année par les serveurs est liée à la seule climatisation. L'audiovisuel a vu sa consommation électrique augmenter de 78% en dix ans. C'est un secteur qui évolue sans contrainte ou presque. Pour Mme Rodhain, "il y a urgence à intervenir vite et fort auprès de la filière par des mesures coercitives, et de réveiller le consommateur citoyen pour endiguer les effets rebonds et faire croître la conscience".
Un modèle économique qui reste à définir
A ces nouveaux usages des TIC va s'ajouter le raccordement des flottes de véhicules électriques sur le réseau. "On en est au stade pré-industriel", résume Philippe Watteau, adjoint au directeur de la recherche technologique au CEA. Les constructeurs cherchent à mettre au point des véhicules autonomes alimentés par des batteries durables et faciles à recycler. Surtout, un véhicule électrique doit être très économe en énergie : le poids sera déterminant, ainsi que la récupération d'énergie par le freinage. Pour Didier Marginedes, conseiller du président du groupe Bolloré, l'expérimentation Autolib lancée à Paris en octobre fera la démonstration qu'avec une flotte de 3.000 Blue Cars en 2013, ce seront 22.500 véhicules privés qui pourront être effacés de la circulation. Sous réserve que 6.000 points de charge lente puissent répondre à la demande.
Les smart grids tiendront-elles leur pari de gérer les intermittences et les pointes du réseau ? Vont-elle changer la donne ? interroge Patrice Geoffron, professeur d'économie et directeur du Centre de géopolitique, de l'énergie et des matières premières (CGEMP) de l'Université de Paris Dauphine : "Techniquement, on ne sait pas encore comment faire". Surtout, le modèle économique reste à définir, dans un contexte de crise de l'endettement et d'incertitude sur les prix pétroliers. La transition énergétique va bénéficier de moindres moyens : "Il faudra mobiliser des modèles d'affaire pas trop consommateurs d'argent public". Avec le risque que "la capacité de nos concitoyens à s'adapter soit indexée sur leur niveau de revenu". En regard de ce tableau assez sombre, la vision de Bernard Decomps semble plus optimiste. Ce professeur émérite de l'Ecole normale supérieure de Cachan s'est livré à un plaidoyer en faveur des énergies produites localement par les collectivités, auxquelles devrait revenir, selon lui, la gouvernance énergétique.
Agnès Sinaï