"L'automobiliste sait-il que le gazole qu'il utilise dans sa voiture contient très certainement du biodiésel, et que pareillement l'essence contient du bioéthanol ? Que leur présence réduit le nombre de kilomètres qu'il peut parcourir par rapport au même plein de gazole ou de super pur ? Que ses factures de carburant financent, sans qu'on le sache et pour des montants considérables, la totalité de la politique française en faveur des biocarburants ?". C'est par ces questions qui donnent le ton que Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes, a introduit sa présentation de l'évaluation de la politique d'aide aux agrocarburants pour 2005-2010. L'institution a dressé un état des lieux des agrocarburants utilisés dans les transports routiers ("la quasi-totalité des biocarburants utilisés") et interrogé l'ensemble des parties prenantes (services de l'Etat, agriculteurs, producteurs, consommateurs, ONG…) pour réaliser cette étude aux conclusions sans appel. En ces temps de restriction budgétaire et de chasse aux niches fiscales, la pilule sera certainement dure à avaler.
Une politique qui coûte à la pompe et aux impôts
Tout d'abord, la taxe générale pour les activités polluantes (TGAP) mise en place en 2005 pour sanctionner les distributeurs qui ne respectent pas les cibles d'incorporation, difficilement atteignables selon la Cour des comptes, est entièrement répercutée sur les prix à la pompe. Facture par an : 100 millions d'euros.
En outre, les agrocarburants bénéficient d'importantes réductions de la taxe intérieure à la consommation (TIC, nouvelle appellation de la TIPP), estimées à plus de 2,6 milliards d'euros en cinq ans. Une situation qui va perdurer puisque les pouvoirs publics sont engagés à travers différents agréments avec les industriels jusqu'en 2015…
Enfin, avec un plein de carburant contenant des agrocarburants, le trajet effectué est moins long. Le biodiesel pur permet de parcourir 89 km là où le gazole pur permet d'effectuer une distance de 100 km. Pire pour l'éthanol qui permet de silloner 69 km contre 100 pour l'essence. Ainsi, "pour parcourir la même distance, le consommateur devra faire un plein plus important, et donc payer davantage d'impôts, c'est-à-dire la TIC et la TVA".
Au total, la Cour des comptes estime que le surcoût d'incorporation du bioéthanol à l'essence dans un plein de 50 litres, à nombre de kilomètres parcourus égal, est de 2,3 €. Celui pour le biodiesel serait de 60 centimes d'euros…
Au total, l'automobiliste a payé, en cinq ans, via la surconsommation et la TGAP, 1,86 Mds€ pour la filière bioéthanol/essence. L'Etat, après versement de 0,85 Mds€ de défiscalisation de TIC, est bénéficiaire de cette politique à hauteur de 0,47 Mds €. Les distributeurs ont accru leur chiffre d'affaires de 0,54 Mds€ grâce à la surconsommation.
Pour la filière biodiesel/gazole, le consommateur a payé 0,9 Mds€. L'Etat cette fois est perdant, avec 1,3 M€ à la charge du contribuable. Les producteurs (ou plutôt le producteur en position dominante Diester du groupe Sofiproteol) ont bénéficié de 1,8 Md€. Les distributeurs ont accru leurs chiffres d'affaires de 0,4 Mds €.
La facture est donc salée pour les uns (2,77 Mds € pour les automobilistes et 0,82 Md pour les contribuables) et très profitable pour d'autres (2,65 Mds pour les producteurs). Ce fort soutien a permis à la filière bioéthanol "d'investir considérablement et de se protéger efficacement de la concurrence étrangère", note la cour des comptes. "La filière a investi près d'1 milliard d'euros dans 5 usines nouvelles dans les 5 dernières années et créé ou maintenu près de 5.000 emplois agricoles et industriels", précise la Collective du Bioéthanol dans un communiqué de presse. En revanche, la filière biodiesel a bénéficié d'une "rente, tout en investissant dans des proportions moitié moindres que l'autre filière".
La Cour des comptes estime cependant qu'à partir de 2012, "les deux filières rapporteront à l'Etat davantage que ce qu'elles lui coûtent par la défiscalisation et la politique publique reposera désormais uniquement sur le consommateur, pour 1,1 Md € sur la période 2011-2015".
Les agriculteurs, autres grands bénéficiaires
Cette politique chère est pourtant peu efficiente à en croire l'évaluation… Premier constat de la Cour des comptes : les objectifs de cette politique publique sont nombreux, peu explicités et mal hiérarchisés. Et seul l'objectif historique, qui était de valoriser les terres agricoles laissées en jachères après la réforme de la politique agricole commune de 1993, semble avoir porté ses fruits. Selon les filières de biodiesel et bioéthanol, 18.000 emplois directs et indirects auraient été créés.
En revanche, le souci de réduire la dépendance énergétique de la France vis-à-vis des combustibles fossiles semble peu réalisable. Ainsi, "la réduction de notre dépendance énergétique a été limitée et coûteuse", estime la Cour des comptes. Entre 2005 et 2010, l'incorporation d'agrocarburants dans les carburants automobiles auraient permis d'économiser 5 % de la consommation totale de carburants routiers tout en occupant 6 % de la surface agricole utile. Si la France voulait entièrement substituer ses carburants fossiles par des agrocarburants, l'ensemble de la surface agricole française devrait être mobilisée. Sans compter "le faible rendement énergétique permis par la combustion de la biomasse, [qui] fait que ces derniers ne peuvent jouer qu'un rôle de substitution limité".
Enfin, "la pertinence environnementale, qui est celle la plus immédiatement mise en évidence pour le citoyen, est difficile à mesurer et de plus en plus contestée".