Les commissions particulières des débats publics (CPDP) des futurs parcs éoliens de Fécamp (Haute-Normandie) (1) , de Courseulles-sur-Mer (Basse-Normandie) (2) et de Saint-Brieuc (Côtes-d'Armor) (3) , ont rendu leur rapport en septembre. Globalement, les avis reçus sont positifs, mais les commissions rapportent aussi le caractère houleux de certains échanges et confirment que l'éolien offshore suscite bel et bien des réactions passionnées.
Du côté des arguments favorables à l'implantation des parcs, la promesse de développement économique et de créations d'emplois domine, à l'image de la commission chargée du débat sur le parc de Fécamp qui évoque "une forte attente des élus et des milieux professionnels, partagée par ceux qui en espèrent des emplois". Bien sûr, si les projets se poursuivent, les parties prenantes attendent la mise en place d'une concertation étroite avec le porteur du projet.
Pourquoi débattre maintenant ?
Les synthèses des trois débats soulignent une certaine incompréhension quant à leur utilité dans le cadre de projets faisant l'objet d'appel d'offres, une critique qui va au-delà de l'habituel reproche formulé à l'encontre de ce type de débat. Philippe Deslandes, le président de la Commission nationale du débat public (CNDP), interrogé par Actu-environnement, expliquait en juillet 2011 que la CNDP avait suggéré au ministère de l'Ecologie de réaliser les débats avant le lancement de l'appel d'offres et non pas après comme l'Etat a finalement décidé de le faire.
Ainsi, à Courselles-sur-Mer, les participants ont souligné qu'il s'agit d'"un projet déjà très avancé, résultant de concertations restreintes", ce qui est "à l'origine d'une certaine incompréhension", explique la commission. Deux points étayent cette critique : le choix du site a été arrêté par l'Etat qui n'est pourtant pas partie prenante au débat et la première validation du projet par l'Etat, via l'autorisation d'exploiter, est intervenue avant le débat lors du choix des lauréats. La commission chargée du débat public du parc de Fécamp évoque pour sa part "un débat singulier", notant que pour certains participants "le débat se déroulait trop tardivement, (...) la décision d'implanter ce parc [ayant] déjà été prise". Ce à quoi le maître d'ouvrage a répondu qu'"aucune décision n'avait été définitivement prise", et que la décision finale d'investissement n'interviendrait qu'en 2015.
A noter aussi qu'en débutant le cycle des réunions publiques thématiques autour des enjeux européens, nationaux et bretons de la politique énergétique, le débat sur le parc de Saint-Brieuc a abordé le lien entre la politique énergétique nationale pilotée par l'Etat et la concertation locale visant un projet précis. La réunion, qui a mobilisé Mario Pain, directeur adjoint de l'Energie à la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) au ministère de l'Ecologie, a permis de balayer un large éventail de thèmes, de l'équilibre réseau à la libéralisation du marché. "C'est un projet de gestion énergétique nationale", ont néanmoins critiqué certains intervenants, ajoutant "alors, « à quoi bon et pourquoi un site industriel chez nous en Bretagne ? »". A Fécamp, la commission déplore, au contraire, que "le débat national [sur la transition énergétique] lui-même n'a guère eu d'écho dans le débat public local".
Malgré ces critiques, les débats publics ont mis en évidence que la concertation ne démarrait pas avec eux. La concertation avec les élus locaux et les "acteurs clés", et tout particulièrement les représentants des pêcheurs, a débuté bien avant la désignation des lauréats de l'appel d'offres. Le plus souvent, il s'agissait de répondre aux inquiétudes apparues lors des premières évocations d'une possible implantation d'éoliennes au large des côtes. A Fécamp, certains intervenants ont même soutenu que la concertation débutée dès 2007 "avait permis une information suffisante du public et qu'un débat organisé par la CNDP n'était pas utile".
Positions irréconciliables sur les paysages
Sans surprise, la question des paysages a été le sujet le plus polémique et a donné lieu à des discussions animées. Preuve de l'importance du sujet, les trois projets ont fait l'objet de photomontages visant à rassurer le public et présentés en bonne place sur le site internet du débat (voir les visuels : Fécamp (4) , de Courseulles-sur-Mer (5) et de Saint-Brieuc (6) ). Le compte rendu du débat de Saint-Brieuc est le plus complet sur le sujet. A l'origine, le thème devait être intégré à la réunion consacrée à l'environnement, mais deux associations ont demandé, et obtenu, des expertises paysagères indépendantes, ce qui a conduit la commission à ajouter une réunion supplémentaire entièrement dédiée au thème. La CPDP n'hésite d'ailleurs pas à évoquer, pour Saint-Brieuc, un débat "animé", "empreint de plus d'affectivité que de raison" et confrontant des positions "irréconciliables".
Concrètement, au-delà de la défense du paysage proprement dit, les opposants ont remis en cause l'intérêt économique du projet en pointant "la régression de l'activité touristique avec son cortège de « pertes d'emplois » et de « perte de valeur des biens immobiliers »". Néanmoins, l'argument est contredit par les défenseurs du projet qui avancent un clivage entre résidents et non résidents porteurs d'attentes économiques radicalement différentes. Ainsi, "des personnes favorables au projet (…) sont intervenues pour souligner que la volonté de maintenir un paysage naturel reste une préoccupation de résidents secondaires et de retraités retirés sur la côte", note le compte rendu du débat de Saint-Brieuc, ajoutant qu'"à l'inverse, si on cherche à développer une zone côtière active (y compris dans le domaine industriel), l'apparition du parc éolien dans le paysage peut devenir un signe de renouveau".
Par ailleurs, la commission de Saint-Brieuc note que, pour certains, il y a une contradiction entre la politique française d'incitation forte à la protection des paysages et le développement d'un parc éolien. "L'intervention des représentants de la Dreal, invités par la CPDP, expliquant qu'il n'y a pas de contradiction entre ces politiques, a été fortement désavouée par des huées et sifflets et a fait de cette prise de position l'une des plus contestées sur l'ensemble du débat public", rapporte la commission. A Fécamp, le débat a soulevé la question d'un éventuel classement Unesco et Grand Site de France des falaises. C'est d'ailleurs à Etretat qu'a eu lieu la réunion dédiée au sujet, ce qui a donné l'occasion au maire de la célèbre station balnéaire d'indiquer, citant l'exemple du Havre, qu'il n'y avait pas incompatibilité et que l'industrialisation de certains sites n'avait pas empêché leur classement. Toujours à Fécamp, une élue a mis en balance éolien terrestre et éolien offshore et a soutenu que "le développement de l'éolien en mer [permet] de limiter le « mitage » de la côte par l'installation d'éoliennes à terre".
Enfin, le thème a pris une tonalité particulière à Courseulles-sur-Mer où la compatibilité du projet avec le site historique des plages du Débarquement "est et restera probablement un sujet de polémique". Néanmoins, il ne s'agit pas d'une opposition sans faille et le compte-rendu relève que "si le rappel des hauts faits qui se sont déroulés sur ces plages était commun à tous les intervenants, les conclusions qu'ils en ont tirées au sujet du parc éolien en mer sont restées très diverses". Pour certaines famille de vétérans, l'implantation du parc éolien en mer face aux plages du Débarquement et au port artificiel d'Arromanches-les-Bains "n'est pas compatible avec leur caractère sacré et constituerait une profanation de la mémoire", alors que d'autres "considèrent que ces éoliennes, qui symbolisent une énergie propre et des avancées technologiques, pourraient être un symbole de paix internationale".