Propulser les smart grids du stade expérimental au stade opérationnel, les 41 recommandations de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) rejoignent l'objectif de la feuille de route sur les réseaux intelligents, dans une délibération (1) datée du 12 juin et rendue publique mercredi 25 juin.
"Les nouveaux modes de production d'électricité à partir d'énergie de sources renouvelables, les enjeux de la maîtrise de la demande en énergie, les nouveaux usages de consommation imposent de moderniser la gestion des réseaux", assure-t-elle en préambule.
Pour effectuer cette analyse, la CRE s'est appuyé sur une consultation de l'ensemble des acteurs du secteur.
L'enjeu industriel est de taille : la feuille de route sur les réseaux électriques intelligents de la Nouvelle France industrielle table sur un secteur représentant d'ici 2020 plus de 25.000 emplois directs (contre 15.000 aujourd'hui), pour un chiffre d'affaires d'au moins 6 milliards d'euros (contre 3 milliards actuellement).
D'un point de vue financier tout d'abord, la CRE estime que les quatrièmes tarifs d'utilisation des réseaux publics de distribution d'électricité (Turpe 4) "ont introduit un dispositif destiné à donner à RTE et ERDF les moyens pour mener à bien les projets de R&D et d'innovation nécessaires à la construction des réseaux électriques de demain en garantissant notamment l'absence de frein tarifaire pour engager des projets de R&D ou réaliser des investissements innovants".
Concernant les aspects techniques, la Commission insiste sur la nécessité de construire des systèmes ouverts reposant sur des normes et des standards afin que les différents éléments situés ou raccordés sur les réseaux électriques puissent interagir entre eux.
Pour la CRE, avec le développement de la gestion automatique des équipements de l'installation électrique intérieure, il est indispensable que le consommateur puisse garder une possibilité d'adaptation à ses besoins.
Protection des données personnelles
Autre point sensible : comme les Smart grids permettent de collecter un grand nombre de données à caractère personnel, ces dernières nécessitent d'être protégées.
"Les services de la CRE et de la CNIL ont eu de nombreux échanges sur les sujets relatifs aux réseaux électriques intelligents, détaille la commission. De ces rencontres, il est ressorti le constat croisé que la déclaration des fichiers contenant des données à caractère personnel par les opérateurs pouvait être améliorée". Elle préconise aux porteurs de projets de mener des études d'impact conformes au modèle d'analyse d'impact relative à la protection des données pour les réseaux intelligents et les systèmes de relevés intelligents en cours de préparation au niveau européen.
Dans sa délibération, la CRE rappelle également que les gestionnaires de réseaux de distribution sont tenus de communiquer un certain nombre de données aux autorités organisatrices de la distribution de l'électricité notamment les collectivités territoriales. Elle les incite dans ce cadre à étudier la mise en place d'interfaces pour les mettre à disposition dynamiquement.
Une qualification juridique pour la recharge des véhicules électriques
L'activité de recharge de véhicules électriques ne dispose pas de qualification juridique particulière : elle est qualifiée de fourniture d'électricité ou de contrat de prestation de service selon les services associés à la fourniture de l'électricité (dispositif d'alimentation, stationnement, entretien, etc.) et des modalités de paiement (paiement au kilomètre, au temps, au kilowattheure, etc.
"Ainsi, selon la structure contractuelle, l'activité de recharge se trouve soumise ou non à la réglementation relative à l'activité de fourniture d'électricité, pointe la CRE, dans le cas particulier d'une recharge en électricité facturée au kilowattheure, se pose la question de la rétrocession d'électricité, qui est prohibée, sauf accord du gestionnaire de réseaux de distribution, par les cahiers des charges de concession pour le service public du développement et de l'exploitation du réseau de distribution d'électricité et de la fourniture d'électricité aux tarifs réglementés".
Elle préconise donc une qualification juridique de l'activité de recharge mais également que le code de l'énergie précise que cette dernière ne constitue pas une activité de fourniture d'électricité.
Soutenir la recharge dans les bâtiments privés
La CRE note que d'après les premiers retours d'expérience, la recharge du véhicule s'effectue majoritairement sur le lieu de travail ou au domicile de l'utilisateur.
Le locataire ou propriétaire résidant dans l'immeuble collectif bénéficie d'un droit à la prise lui permettant d'installer une infrastructure de recharge pour son véhicule électrique, mais cette dernière est à ses frais. Il devra ensuite installer en aval du disjoncteur de l'immeuble un système de mesure permettant une facturation individuelle des consommations.
La CRE plaide donc en faveur "d'une modification juridique du cadre actuel (article R111-14-2 du code de la construction et de l'habitation et mise en oeuvre de la recommandation n° 8) afin de permettre de répartir, à partir des informations fournies par les infrastructures de recharge, les charges financières associées, d'une part, à l'entretien de l'installation intérieure électrique dédiée aux bornes de recharge et, d'autre part, aux consommations d'électricité liées à leur utilisation".
Selon les études réalisées par ERDF, les coûts supportés par le gestionnaire d'infrastructures de recharge (coûts du branchement et de l'extension du raccordement) et les coûts de renforcement des réseaux supportés par les gestionnaires de réseaux de distribution varient très fortement en fonction de la localisation des bornes de recharge (et le délai de raccordement de bornes de recharge est assujetti aux éventuels besoins de renforcement du réseau).
La Commission préconise donc que les gestionnaires de réseaux de distribution participent aux études amont réalisées par les porteurs de projets de bornes de recharge en concertation avec les collectivités territoriales et les autorités organisatrices de la distribution.
Elle est également favorable à l'expérimentation de l'insertion de bornes de recharge de véhicules électriques sur le réseau d'éclairage public.
Faciliter l'émergence d'un consommateur autoproducteur
Selon la CRE, pour que les producteurs soient incités à augmenter leur taux d'autoproduction, un nouveau cadre économique doit être défini. Et la première étape consiste à modifier les schémas de raccordement des installations afin de mesurer l'autoproduction de l'installation de production-consommation. "Les nouvelles technologies de l'information et de la communication, qui permettent d'informer l'utilisateur sur sa production (prévisionnelle et réelle) et d'automatiser certains équipements de son installation, ainsi que l'utilisation de dispositifs de stockage permettraient d'augmenter le synchronisme entre la production et la consommation", développe la CRE. Comme chaque utilisateur (industriel ou résidentiel) ne dispose pas des mêmes facilités pour y parvenir, elle propose de définir un niveau de synchronisme de base "entre production et consommation au niveau d'un même point de connexion correspondant à la situation généralement constatée".
La valorisation de l'énergie autoproduite doit ensuite tenir compte de l'économie réalisée sur la part variable de la facture d'électricité induite par la réduction des soutirages sur les réseaux.
"Une prime à l'autoproduction devrait être définie en cohérence avec le niveau des tarifs d'obligation d'achat de l'électricité produite, indique la CRE, elle doit, notamment, ne pas conduire à une rémunération excessive des capitaux engagés et ne doit pas inciter l'utilisateur à augmenter artificiellement sa consommation pour bénéficier de la prime à l'autoproduction".
Concernant le tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (Turpe), la CRE rappelle qu'il est légitime que l'autoproducteur soit traité comme tout autre utilisateur du réseau (2) .
Elle souhaite également que soit exploitée la possible absorption, par l'installation de production, de la puissance réactive afin de limiter les besoins de renforcement.
La CRE ouvre également la possibilité que les coûts de renforcement à la charge des producteurs soient, dans certains cas, réduits en contrepartie d'engagements de limitation de la puissance active injectée.
Des expérimentations, comme Greenlys, testent la gestion active des consommations et la modulation temporaire de la puissance appelée. "Les gestionnaires de réseaux pourraient, lorsque cela est avantageux pour la collectivité, également proposer à un consommateur, en plus de la solution de raccordement de référence, une solution de raccordement alternative comprenant un engagement à limiter la puissance soutirée", propose la CRE.
Selon elle, une installation de stockage doit bénéficier, pour injecter de l'énergie, de conditions d'accès au réseau similaires à celles dont bénéficie toute installation de production. En revanche, la CRE propose que les prescriptions techniques générales de conception et de fonctionnement soient modifiées pour prendre en compte les caractéristiques de certaines installations susceptibles d'entraîner des problèmes de qualité de l'alimentation et de sécurité du réseau.
Une inertie en baisse ?
"Avec l'évolution du parc de production européen, l'inertie des systèmes électriques européens tend à diminuer, ce qui pourrait accroître le risque d'incident majeur", pointe la CRE.
Elle incite donc les gestionnaires de réseaux de transport à prendre des mesures d'accompagnement (3) et réaliser au niveau européen une évaluation préliminaire du risque d'une baisse progressive d'inertie.
Elle demande également, après adoption du code de réseau européen sur le raccordement des producteurs, d'engager une concertation "afin que soient précisées les perspectives d'évolution des modalités de déclenchement des protections de découplage à moyen et à long terme, à laquelle le gestionnaire du réseau de transport devra être associé".
La CRE est favorable à l'adoption de différents seuils de pénétration des énergies renouvelables. Elle demande toutefois aux gestionnaires de réseaux insulaires Electricité de France – Systèmes Energétiques Insulaires (EDF SEI) et Electricité de Mayotte (EDM) de définir les critères de sûreté et de mettre à jour leur documentation technique de référence. "Dès l'adoption de la recommandation précédente nécessitant une modification de l'arrêté du 23 avril 2008, ces gestionnaires de réseaux pourraient également définir les seuils de pénétration des EnR", précise la CRE.
D'ici le 1er novembre 2014, le gestionnaire du réseau de transport (RTE) et les gestionnaires de réseaux de distribution d'électricité (ERDF) desservant plus de 100.000 clients devront remettre à la Commission de régulation de l'énergie, leur feuille de route de mise en oeuvre des recommandations. Elle comprendra "un calendrier incluant les études techniques et économiques à mener pour évaluer les coûts et les bénéfices de ces évolutions pour la collectivité, les jalons de mise en oeuvre et les points d'avancement avec la CRE envisagés".