"Les prochaines guerres seront conduites pour l'eau", avait annoncé en 1995 Ismail Serageldin, alors président de la Banque mondiale. Depuis plus de deux décennies, la rareté hydrique est en effet devenue un sujet de conflit comme l'illustre la situation du bassin du Jourdain ou plus récemment celle du bassin de la mer d'Aral. Les tensions autour de l'accès à l'eau pour satisfaire les différents usages sont ainsi en forte expansion et ne risquent pas de diminuer.
Avec l'augmentation de la population mondiale, le développement de l'urbanisation, l'évolution des modes de vies ou encore l'industrialisation, les besoins en eau ne cessent de croître. En 2025, la demande d'eau pourrait être de 56 % supérieure à ce qu'elle est actuellement. Ce risque de conflit de l'eau est d'autant plus fort que la répartition de cette ressource est inégale. Près de 40 Etats dépendent ainsi pour plus de la moitié de leurs ressources en eau de pays voisins, avec en haut de l'échelle l'Egypte, le Turkménistan et la Mauritanie. A l'inverse, neuf pays seulement concentrent 60 % des ressources d'eau douce mondiale.
Vingt réponses pour gérer la ressource en eau
Face à ce constat et à la possible aggravation de la situation, la Commission des affaires étrangères française avait lancé, le 5 octobre 2010, une mission d'information sur la géopolitique de l'eau (1) . Cette dernière vient de rendre son rapport qui, après avoir dressé un état des lieux de l'eau dans le monde, tente de définir plusieurs réponses afin de mieux protéger et partager cette ressource. Au nombre de vingt, ces solutions institutionnelles, techniques et financières à l'échelle des Etats et des bassins devraient, selon les auteurs de ce rapport, répondre aux besoins d'adaptation à l'insuffisance et à la baisse de la disponibilité de cette ressource, tout en assurant au mieux le respect des écosystèmes aujourd'hui menacés.
"Il ne s'agit pas seulement de prévenir ou résoudre des conflits ouverts liés à l'eau, mais d'élaborer des gouvernances qui permettent de restituer l'eau à l'homme et à la planète", précise le rapport qui souligne que "l'absence de conflits n'est pas nécessairement réjouissante lorsqu'elle laisse place à une distribution inégale pour ne pas dire scandaleuse de la ressource".
Une gestion locale à l'échelle du bassin versant
Dans son rapport, la mission d'information indique qu'un bonne gestion locale ou régionale de la ressource est la clé principale pour assurer une disponibilité suffisante de l'eau et donc prévenir, voire résoudre, certains conflits. Pour y parvenir, il faut avant tout améliorer les connaissances indispensables à la gestion de l'eau, en multipliant les programmes d'analyses scientifiques sur les bassins et les aquifères afin de constituer des bases de données partagées et accessibles.
Les auteurs de ce rapport souligne également la nécessité "d'agir pour une gestion intégrée des ressources en eau", en favorisant la décentralisation et l'association des populations locales sur ce sujet. Cette recommandation privilégie donc la mise en place d'une gestion intégrée de l'eau à l'échelle du bassin versant ou de l'aquifère, car "c'est au plus près de l'utilisateur que l'élaboration d'une bonne gestion et sa mise en pratique peuvent être efficacement assurée". Instaurée en France dès 1964, cette gestion de bassin versant permet ainsi de mieux appréhender les effets des activités industrielles locales ainsi que les possibles évolutions climatiques. Mais, ce choix d'unité hydrographique peut se heurter à des divisions politiques et administratives, notamment dans le cas de bassin transfrontalier. D'où, l'idée du rapport de "soutenir la création d'agences de bassins transnationales pour créer des mécanismes d'information, susciter des coopérations et si possible mettre en œuvre des ouvrages et des politiques dont les coûts et bénéfices sont partagés".
Modifier la gouvernance internationale en créant une agence mondiale de l'eau
L'appel à la bonne gestion locale doit, en outre, s'accompagner d'un renforcement de la gouvernance internationale de l'eau, "susceptible de créer les conditions de formulation de solutions opérantes à même de limiter les tensions autour de cette ressource". Il faudrait donc que la reconnaissance du droit à l'eau et à l'assainissement devienne un objectif en soi qui devra être placé en haut de la hiérarchie des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD). Cette modification de la gouvernance devra également réussir à inciter les pays réticents à ratifier les différentes conventions comme celles d'Helsinki et de New York portant sur l'utilisation des cours d'eau transfrontaliers et des lacs internationaux.
Enfin, les travaux de la mission mettent en avant le besoin de "créer une agence mondiale de l'eau, division d'une Organisation mondiale de l'environnement, intégrant et rationalisant l'ensemble des programmes et acteurs des différentes organisations internationales". Actuellement, il existe une structure, appelée Onu-eau et créée en 2003, qui rassemble pratiquement une trentaine de membres, des institutions spécialisées (FAO, OMS, AIEA, Unesco…) aux commissions régionales (Cesap (2) , Cesao (3) , CEE-Onu (4) …) en passant par d'autres entités du systèmes des Nations unies (Pnud, Pnue ou encore CBD). Même si ce mécanisme inter-organisation constitue une amélioration du système antérieur en coordonnant les travaux des différentes agences, ses résultats ne sont guère probants. En effet, Onu-eau est avant tout un lieu d'échanges et de partage, sans être un véritable organisme d'exécution. De plus, le manque de concertations entre les différents acteurs aboutit souvent à des doublons dans les actions menées. "La multiplicité des agences, des programmes, des acteurs semble porteuse de perte de temps, d'énergie et d'argent alors qu'une fusion devrait permettre de rationaliser et de capitaliser les succès et échecs", détaille le rapport, précisant qu'il "semble ainsi indispensable de mettre en place un cadre pour une concertation plus organisée". Mais, plusieurs critiques s'élèvent contre cette idée d'une agence unique, notamment en raison de son échelon mondial qui serait impropre à assurer la gouvernance d'un enjeu local.