Anticiper les conséquences des dérèglements climatiques sur les ressources en eau. Tel est l'objectif de l'étude menée par la délégation à la prospective du Sénat qui propose comme réponse le triptyque "consommer moins, gérer mieux et produire plus".
Parmi les mesures proposées au titre du deuxième volet de ce triptyque, les auteurs du rapport (1) , Henri Tandonnet (UDI-UC – Lot-et-Garonne) et Jean-Jacques Lozach (Soc. et rép. – Creuse), proposent la constitution de réserves d'eau, voire de grands barrages structurants. "S'interdire de créer de nouvelles réserves est contraire à toute l'histoire de l'humanité quand elle est confrontée au risque de pénurie", peut-on lire dans les conclusions du rapport.
"Solution de bon sens"
"Dans un contexte de survie, il paraît de bon sens de constituer des stocks pour capter l'eau lorsqu'elle est abondante, et donc sans risque pour l'écosystème, afin de pouvoir la restituer lorsqu'elle vient à manquer (…) plus particulièrement pendant la période estivale, qui requiert le maintien d'étiage et peut donner lieu à la survenance de conflits d'usages", expliquent les sénateurs.
Ceux-ci admettent que l'intérêt d'une telle mesure n'est pas partagé par tous. Le rapport fait ainsi état de la position de France Nature Environnement (FNE) et du Bureau européen de l'environnement (BEE) selon lesquels tout stockage de l'eau diminue sa qualité et ne peut représenter la politique d'adaptation de l'agriculture aux changements climatiques. "Il n'est pas inexact que le bon état écologique puisse s'en trouver affecté", reconnaissent M. Tandonnet et Lozach, qui font par ailleurs une place dans le rapport à l'agro-écologie et à l'agroforesterie comme solutions d'adaptation aux changements climatiques. "Pour autant, tranchent-ils, stocker l'eau éviterait de gaspiller une ressource rare et contingentée".
"Quelle que soit leur nature, et selon leur capacité, les réserves peuvent assurer de nombreuses fonctions : irrigation pour l'agriculture, maintien du débit d'étiage, prévention des inondations, réponse aux besoins des ménages et de l'industrie, besoins de l'énergie hydraulique et nucléaires pour les grosses réserves", font valoir les auteurs.
Autoriser la création de réserves de substitution
Déplorant l'encadrement trop strict des aides des agences de l'eau en la matière, ceux-ci suggèrent d'"autoriser la création de réserves de substitution, gérées collectivement, qui pourraient soulager la pression sur le débit des fleuves". Pour conforter ce point de vue, les sénateurs citent les conclusions d'un rapport du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) qui recommande un financement public des retenues de substitution à hauteur de 70 à 80%.
Les parlementaires suggèrent également de stocker l'eau de pluie "abondante en hiver et au printemps" pour l'utiliser en été quand elle manque. Les sénateurs veulent en effet "dédiaboliser l'irrigation". "Outre qu'elle est indispensable à la préservation des cultures et à la survie du monde agricole, l'irrigation raisonnée participe aussi de la lutte contre l'élévation de la température en milieu urbain et rural grâce à l'évapotranspiration", affirme le rapport. C'est pourquoi, il préconise, en cas de pics de chaleur, d'utiliser l'eau stockée plutôt que de prendre des arrêtés limitant les usages de l'eau.
Sujet tabou
Au delà de simples retenues d'eau, les sénateurs se disent favorables à la création de "grands ouvrages structurants". "Le sujet est devenu tabou, déplore Henri Tandonnet, alors que les régions qui ont anticipé dans les années 1960 sont beaucoup mieux préparées". L'épisode du barrage de Sivens (Tarn) est en effet passé par là. Le projet initial a été officiellement abandonné en décembre 2015 après une très forte contestation des associations écologistes marquée par la mort d'un militant en octobre 2014.
"La capacité de la retenue prévue à Sivens était de 1,5 million de mètres cubes, à comparer au volume du réservoir du barrage de Serre-Ponçon, qui atteint près de 1,3 milliard de mètres cubes", relève Jean-Jacques Lozach. "Si, sur une retenue aussi modeste que celle-là, on assiste déjà à une levée de boucliers aussi violente, la mise en place de tels équipements à l'avenir s'annonce extrêmement difficile", déplore le sénateur, qui insiste sur la nécessité de privilégier une approche collective.
"N'opposons pas, comme c'est parfois le cas actuellement, les besoins de l'agriculture et ceux des ménages, martèlent les rapporteurs. Ceux-ci sont en réalité communs tant il est vrai que l'irrigation n'est rien d'autre que de l'eau verte utilisée pour nourrir la population et assurer l'indépendance alimentaire de notre pays".