La proposition de loi du député socialiste François Brottes sur la tarification progressive de l'énergie bénéficiait du plein soutien du Gouvernement, comme l'avait annoncé Jean-Marc Ayrault dans son discours de clôture de la Conférence environnementale. Pourtant, déjà votée dans un climat difficile par l'Assemblée nationale le 4 octobre, l'adoption du texte par le Sénat, où une majorité est plus difficile à trouver, se révèle être un parcours d'obstacles. Les derniers épisodes en date lui seront-ils fatals ?
Adoption au forceps à l'Assemblée
L'objectif était louable : faire payer plus les gros consommateurs d'énergie de manière à les inciter à réduire leur consommation. Mais la mise en œuvre d'une tarification progressive se révèle très complexe, ce qui, lors de la discussion à l'Assemblée, avait poussé l'UMP à qualifier le projet d'"usine à gaz législative". Tandis que le Front de gauche estimait début octobre que le texte mettait "en péril le principe de péréquation tarifaire". A ces premières critiques sont venues se greffer celles liées à l'introduction d'amendements sans lien avec l'objet initial de la loi, même si ces "cavaliers législatifs", qui visaient à assouplir la réglementation de l'éolien, étaient par ailleurs salués par la plupart des professionnels du secteur.
Première faille donc : la proposition de loi était adoptée le 4 octobre par l'Assemblée nationale dans un hémicycle à moitié vide, suite au départ des députés UMP, UDI et du Front de Gauche, qui entendaient ainsi protester contre le dévoiement de la loi par rapport à son objet initial.
Motion d'irrecevabilité votée en commission au Sénat
Au Sénat, l'examen du texte par la commission des affaires économiques le 17 octobre s'est révélé également houleux, les sénateurs communistes déposant une motion d'irrecevabilité tandis que les élus UMP et centristes claquaient de nouveau la porte. "Ce texte est un mauvais texte, cela va pénaliser les couches populaires, il y a tout à revoir", déclarait à l'AFP Mireille Schurch (CRC – Allier), les communistes dénonçant une rupture d'égalité devant l'accès à l'énergie. Sentant le danger, la gauche n'étant majoritaire que de six voix au Sénat, le Gouvernement repoussait par ailleurs la discussion du texte en séance au 30 octobre.
Le 23 octobre, la motion d'irrecevabilité était votée par 20 sénateurs, réunissant une majorité hétéroclite regroupant communistes, UMP et centristes, qui ont battu les 19 sénateurs de la majorité gouvernementale PS, EELV (1) et RDSE (2) . "La commission des affaires économiques a reconnu le risque d'inconstitutionnalité de ce texte au regard du respect des principes d'égalité, de péréquation tarifaire, d'exigence de clarté et d'intelligibilité de la loi et du respect par le législateur de sa compétence en matière fiscale", se félicite le groupe Communiste républicain et citoyen (CRC). On notera d'ailleurs que le Gouvernement avait lui-même décelé un risque d'inconstitutionnalité du texte, lors de la discussion à l'Assemblée, à travers l'amendement introduisant le critère de l'âge des occupants, amendement qu'il avait tenté de faire retirer en vain.
La commission sénatoriale estime, pour sa part, selon l'analyse du groupe CRC, que "l'instauration d'un bonus-malus s'apparente à une taxe qui ne respecte pas le principe de proportionnalité de l'impôt et des ressources de chacun, en faisant peser une large partie des malus sur les familles qui n'ont pas toujours les moyens de procéder aux travaux d'isolation de leur habitation".
"Alliance contre nature"
"On a assisté à une alliance contre nature, comme ministre et femme de gauche, je regrette que le groupe communiste mêle sa voix à celle de la droite pour faire obstacle à des idées nouvelles de justice sociale, d'efficacité écologiste", a regretté la ministre de l'Ecologie auprès de l'AFP.
"Ce texte a vocation à apporter une solution immédiate aux problèmes de précarité énergétique en étendant les tarifs sociaux à 8 millions de Français, en mettant en place une trêve hivernale pour les coupures d'énergie", a ajouté Delphine Batho. C'est précisément ce volet social qui semble plus consensuel. La sénatrice communiste, Mireille Schurch, a déposé une nouvelle proposition de loi permettant l'extension de la trêve hivernale à tous les usagers, l'augmentation du nombre de bénéficiaires des tarifs sociaux de l'énergie ainsi que la mise en place d'un service public de la performance énergétique, mais laissant de côté le mécanisme de bonus-malus. Jean-Claude Lenoir (UMP - Orne), qui a annoncé le même jour sa démission du Conseil supérieur de l'énergie, a jugé également que la seule priorité était la précarité énergétique et que le reste pouvait attendre.
Démission du rapporteur au Sénat
Nouveau rebondissement le 25 octobre, Roland Courteau (PS – Aude) annonce sa démission de ses fonctions de rapporteur de la proposition de loi au Sénat. Le sénateur explique qu'il a longuement travaillé pour rendre le texte plus lisible avec un nouveau mécanisme de bonus-malus en vue de remplacer le dispositif adopté par les députés jugé trop complexe, et ce en lien étroit avec Matignon et les cabinets des ministères concernés. "Mon dispositif était ficelé, prêt à être soumis à la commission, il m'a été impossible de le présenter après le vote de la motion d'irrecevabilité", a déploré le parlementaire.
La motion d'irrecevabilité votée en commission sera présentée en séance le 30 octobre, après la discussion générale. A défaut d'accord d'ici cette date, elle a de grandes chances d'être adoptée entraînant le rejet du texte par le Sénat. "S'ils s'obstinent, avec le concours de la droite, à faire échec à ce texte au Sénat, les communistes n'obtiendront qu'une chose : le retour à la version de l'Assemblée", a déclaré aux Echos François Rebsamen, président du groupe socialiste.
France Energie Eolienne, de son côté, se déclare "victime collatérale" du Sénat. "La tournure que prennent les discussions au Sénat fait craindre une paralysie", alerte l'association qui rassemble plus de 250 acteurs de la filière éolienne. "La mise en œuvre des mesures sera, au mieux, décalée dans le temps. Pourtant, le secteur éolien est à l'arrêt, les 11.000 emplois de la filière sont menacés et les professionnels s'inquiètent", lance-t-elle alarmiste.