"Aucun des trois scénarios étudiés ne permet d'atteindre une division par 4 des émissions de gaz à effet de serre (GES) de l'agriculture française". C'est en substance ce qu'indique l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) en conclusion de l'étude Agriculture et facteur 4 (1) , publiée le 19 octobre 2012. L'objectif n'est atteint par aucun scénario "malgré des modifications majeures des systèmes agricoles (…), des régimes alimentaires (…) et des niveaux d'exportation".
L'Ademe juge que pour atteindre le facteur 4 il faudrait combiner des "hypothèses extrêmement fortes, pouvant induire des ruptures drastiques, ou générer des émissions indirectes par délocalisation de la production". Et d'assener : "l'atteinte d'un facteur 2 semble plus réaliste".
Cette étude, réalisée par le groupement Solagro, Oréade-Brèche et ISL pour le compte de l'Ademe et du ministère de l'Agriculture, figure parmi une série d'études sectorielles visant à identifier des trajectoires envisageables afin de diviser par quatre les GES d'ici à 2050, par rapport à 1990.
Production intégrée, bio et agroforesterie
"Comparées aux autres secteurs étudiés, l'agriculture a un rôle particulier dans les émissions de GES à plusieurs titres : elle est à la fois source et puits d'émissions de carbone, elle est la
Le scénario "intensification écologique" (Alpha) privilégie les systèmes les plus productifs, tout en recherchant une forte réduction des impacts environnementaux, principalement par l'innovation agronomique et technologique. "La production intégrée devient la principale forme d'agriculture", résume l'Ademe qui évoque à son sujet des "modifications majeures des systèmes agricoles".
Le scénario "alimentation, autonomie et sobriété" (Bêta), basé sur "une profonde évolution des régimes alimentaires" qui voient la part des protéines animales décroitre au profit des protéines végétales, se traduit par une production de qualité et respectueuse de l'environnement et du bien-être animal. C'est le scénario reposant le plus sur l'agriculture biologique qui atteint 35% de la production en 2050.
Enfin, le scénario "alimentation, efficacité et stockage" (Gamma) privilégie le stockage de carbone et la production de carbone renouvelable. "Les hypothèses sont construites de manière à tendre vers une forte réduction des émissions de GES", explique l'Ademe qui fait état d'une forte progression des surfaces dédiées à la biomasse non alimentaire. Il s'agit d'un scénario reposant notamment sur l'agroforesterie et entrainant des "modifications majeures des niveaux d'exportation".
Importations et exportations agricoles
Le scénario permettant la plus forte réduction des émissions de GES est celui reposant sur l'agroforesterie (Gamma), suivi de celui basé sur l'agriculture biologique (Bêta) puis celui favorisant la production intégrée (Alpha). "Les scénarios Alpha, Bêta et Gamma, conduisent ainsi à un facteur de réduction des émissions de GES respectivement de 1,7, 2,5 et 3,2 par rapport à 1990", constate l'Ademe.
Cependant, si aucun scénario ne permet d'atteindre le facteur 4, les ordres de grandeur des réductions des émissions de GES, allant de 42% pour Alpha à 68% pour Gamma, "apparaissent finalement compatibles avec la contribution estimée de l'agriculture aux feuilles de route française (2) ou européenne (3) (-42 à -49% pour le secteur agricole), même si ces études ont été réalisées dans des logiques très différentes".
Parmi les éléments clés rendant difficile l'atteinte de l'objectif figure la "question stratégique" du niveau d'importation et d'exportation de l'agriculture française en 2050 qui "reste un sujet complexe, tant sur ses déterminants (évolution des modèles économiques, pression importante de réduction des GES sur le secteur…) que sur ses conséquences". C'est en grande partie la difficulté à prendre en compte les changements indirects d'affectations des sols qui rend délicate l'évaluation. Une baisse des exportations et des productions nationales, qui serait en partie couverte par un recours accru aux importations, "pourrait [entraîner] un déplacement de production (donc des émissions accrues dans d'autres pays) et une accentuation de la déforestation". Un élément qui n'a pas été pris en compte dans l'étude.
Quatre leviers d'action
Reste que l'étude identifie les "quatre principaux leviers ayant un impact significatif en termes de réduction des émissions", à savoir : les changements de pratiques agricoles et de systèmes de culture, les modifications profondes du régime alimentaire de la population française, le niveau des exportations des produits agricoles, notamment de la poudre de lait et du blé et la réaffectation des terres ainsi libérées à la production d'énergies renouvelables (cultures annuelles et/ou forêt).
Ces leviers, scénarisés dans l'étude, "conduisent à une diminution de l'agriculture conventionnelle au profit de la production intégrée, mais aussi de l'agriculture biologique", résume l'Ademe qui attire l'attention sur le fait qu'"une résistance forte face au changement est prévisible". Cette résistance s'explique notamment par une méconnaissance des techniques, un besoin d'apprentissage et une nécessaire réorientation des programmes de recherche et des structures d'accompagnement. "La mise en pratique de ces leviers supposerait donc une intervention publique pour soutenir la transition", avertit l'Ademe qui évoque entre autres la mise en place d'incitations économiques.