Générations futures et le Pesticide action network (PAN) dénoncent un assouplissement, au niveau européen, de l'évaluation de certains produits phytosanitaires ou substances actives présentes sur le marché avant 1993.
Selon ces deux ONG, cet assouplissement serait dû au retard pris par l'Union européenne pour réexaminer l'ensemble des substances mises sur le marché avant 1993, conformément à la directive 91/414/CEE. Ce texte, qui introduit une harmonisation européenne en matière d'évaluation, d'autorisation, de mise sur le marché et de contrôle des produits phyto, lançait en effet un vaste programme d'évaluation étalé sur douze ans à compter de l'entrée en vigueur de la directive (1993). A l'issue de ce réexamen chaque ancienne substance active devait, soit être inscrite à l'Annexe I de la directive, c'est-à-dire qu'elle était autorisée car elle ne présente pas "de risque pour la santé humaine ou animale, ni pour l'environnement lorsque le produit est utilisé dans des conditions normales", soit "on inscrite", c'est-à-dire que tous les Etats-membres de l'Union étaient dans l'obligation de retirer du marché l'ensemble des produits qui contiennent cette substance active.
Ce programme, qui concernait 984 substances actives (substances autorisées dans au moins un Etat membre de l'Union européenne), a pris énormément de retard. L'évaluation des substances jugées prioritaires (les plus utilisées et/ou celles considérées a priori comme les plus préoccupante) s'est achevée en 2006, mais il restait 894 substances à réexaminer à la même date. Le programme a donc été prorogé jusqu'à mars 2009.
Retrait volontaire et re-soumission accélérée
Mais en 2008, alors que certaines substances n'avaient toujours pas été homologuées, une procédure de "re-soumission" a été introduite par le règlement 33/2008. Le principe ? Les firmes acceptaient d'exercer un "retrait volontaire" du marché de leurs produits phyto dans un délai de trois ans (la "période d'élimination progressive étendue" courait jusqu'à décembre 2011). Pendant ce même laps de temps, les firmes avaient la possibilité de présenter un nouveau dossier dans le cadre d'une procédure accélérée. Un échange de bons procédés plutôt positif pour les firmes puisque sur 87 substances ayant fait l'objet d'un retrait volontaire, 64 ont finalement obtenu une homologation avec la procédure accélérée, indiquent les deux ONG. Cette re-soumission "accorde une seconde chance d'homologation à l'industrie pour des pesticides comportant pourtant des lacunes dans les données transmises ou présentant des dangers avérés et qui auraient dû être retirés", dénoncent les ONG.
Données manquantes et risques non évalués
Après avoir analysé les conditions d'homologation de 10 pesticides sélectionnés "au hasard" dans le cadre de cette procédure, Générations futures et le PAN révèlent que "l'évaluation du risque pour l'environnement s'est révélée impossible pour 10 substances sur 10 du fait d'un manque de données ! Dans 8 cas sur 10 l'évaluation du risque pour le consommateur n'a pas pu être finalisée à cause du manque de données. Pour la substance Bromuconazole c'est même 5 données manquantes qui ont été considérées comme acceptables !".
En effet, pour le Bromuconazole, substance active qui a un effet fongicide, l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) indique un manque de données sur les impuretés, pour l'exposition du consommateur aux métabolites de triazoles, pour 4 isomères sur l'environnement, pour la perturbation endocrinienne sur poissons et oiseaux et pour les herbivores. L'agence conclut que le risque pour le consommateur ne peut être exclu. Pourtant, en 2010, une décision d'approbation a été adoptée, précisant que les Etats Membres devront faire attention à la sécurité des travailleurs et à la protection des organismes aquatiques, et que des informations devront être fournies sur les métabolites et le risque à long terme pour les herbivores.
"Il s'agit d'une violation grave des règles et un mépris systématique pour le principal critère d'approbation des pesticides : l'absence de conséquence inacceptable pour l'environnement. Nous demandons l'annulation de ces homologations non-conformes aux exigences de la directive 91/414 et du nouveau règlement ", déclare François Veillerette, porte-parole de Générations Futures. Le règlement n° 1107/2009, qui abroge la directive 91/414/CEE, prévoit en effet qu' "une substance active n'est approuvée que si elle n'est pas classée mutagène, cancérogène ou toxique pour la reproduction de catégorie 1A ou 1B, et n'est pas considérée comme ayant des effets endocriniens perturbants. En outre, une substance active considérée comme un polluant organique persistant, ou comme persistant, bioaccumulable et toxique ou encore comme une substance très persistante et très bioaccumulable, ne peut être approuvée".
Les ONG soulignent également une "autre mauvaise innovation" qui "permet l'accès au marché de pesticides dont les dossiers comportent toujours des lacunes dans les données, à la condition que la société «confirme» dans une phase ultérieure par des études ou un raisonnement que le risque est absent ou acceptable".