Donner un prix au carbone
Cette initiative, inaugurée en présence des dirigeants de grandes entreprises françaises des secteurs de l'énergie, de l'industrie et de la finance, vise à constituer autour de l'État et des entreprises privées une instance de ''dialogue, d'expertise et d'orientation'' sur les marchés du carbone et ambitionne d'être une enceinte de ''concertation pour réguler ces marchés et renforcer'' leur efficacité. Elle fait suite au travail du groupe présidé par Jean-Michel Charpin, qui a rendu ses conclusions en septembre dernier sur l'organisation des enchères de quotas de CO2 en Europe. ''Nous devons agir sur tous les secteurs pour diminuer nos émissions de Gaz à Effet de Serre (GES). Pour cela, il nous faut mettre en oeuvre les outils les plus pertinents'', a commenté Pierre-Franck Chevet, le directeur général de l'Energie et du Climat au MEEDDAT. Différents outils peuvent être utilisé : réglementation au niveau national, réglementation au niveau européen, système d'aide, système de taxe (taxe carbone notamment) et système de marché de carbone ou Cap-and-Trade en anglais. ''On peut les articuler et chacun à ses avantages et ses inconvénients, a estimé Pierre-Franck Chevet. Il est trop tard pour se passer d'un outil''. Le Cap and Trade fixe des quantités, et dans ces conditions, le prix fluctuera en fonction de l'offre et de la demande de quota. D'où une certitude de l'atteinte des objectifs de réduction en volume mais une incertitude sur les prix. La taxe carbone fixe quant à elle directement le prix et dans ces conditions, les quantités dépendent des coûts d'abattement des actions économiques. D'où une certitude sur le prix mais une incertitude sur les quantités.
Afin d'encourager la réduction des émissions de gaz à effet de serre conformément aux engagements du Protocole de Kyoto à savoir -8% d'ici 2012 par rapport à 1990, l'Union européenne a mis en place en janvier 2005 un système de plafonnement et d'échanges de quotas de gaz à effet de serre (également appelé EU ETS en anglais : European Union Emission Trading Scheme) couvrant les grandes sources d'émissions à savoir 11.000 installations industrielles (dans les secteurs de l'acier, du ciment, du raffinage, du verre, du papier,…) et énergétiques (production d'électricité, réseaux de chaleur,…). Ce système a vu le jour en 2005 et a été établi initialement pour deux périodes successives : une phase de 3 ans (2005-2007) et une seconde phase de 5 ans (2008-2012). Il couvre l'ensemble des pays membres de l'UE-27 et représente au total 43% des émissions européennes de gaz à effet de serre. Le dispositif opère de la même manière que le Protocole de Kyoto pour les Etats. Les Etats plafonnent les émissions de CO2 des installations concernées puis leur distribuent les quotas d'émission correspondants. Les entreprises assujetties ont ensuite la possibilité d'échanger leurs quotas selon qu'elles sont excédentaires ou déficitaires, de sorte qu'un prix de la tonne de CO2 se forme sur un marché. Chaque tonne de CO2 échangée sur le marché prend la forme d'un transfert de quota (appelé EUA en anglais – European Union Allowance) entre le compte détenu par le vendeur et le compte détenu par l'acheteur dans le registre national des gaz à effet de serre. ''Ce marché est naissant mais essentiel car il a donné pour la première fois un signal-prix au carbone'', a rapellé Pierre-Franck Chevet.
Le Paquet Energie Climat (PEC) adopté en décembre 2008 a renforcé le système de quotas à partir du 1er janvier 2013. Il s'étend désormais au-delà (2013-2020) de la période de validité actuelle du Protocole de Kyoto (2008-2012). ''C'est essentiel pour la vie économique et la vie des entreprises que le système s'inscrive dans la durée'', a souligné le directeur général de l'Energie et du Climat du MEEDDAT. Il fixe un plafond annuel pour les entreprises du secteur ETS sur l'ensemble de la période 2013-2020, avec un niveau d'ambition plus élevé : ce plafond sera réduit de 21% entre 2005 et 2020 pour atteindre 1,72 milliard de tonnes de CO2 en 2020 (contre 2 Mds aujourd'hui). Il intègre de nouveaux gaz à effet de serre (comme le protoxyde d'azote, trois cent fois plus « réchauffant » que le dioxyde de carbone) et de nouveaux secteurs (comme l'aviation, à partir du 1er janvier 2012). Enfin, il institue le principe de la mise aux enchères des quotas, c'est-à-dire une attribution des quotas contre paiement, alors qu'ils étaient jusqu'à présent alloués gratuitement. Les producteurs d'électricité en particulier ne bénéficieront d'aucune dotation gratuite et devront payer leurs quotas dès la première tonne de CO2 émise. Pour les autres secteurs, la montée en puissance des enchères sera plus progressive : 80% de quotas gratuits en 2013, distribués sur la base de référentiels contraignants, 30% en 2020. L'objectif : améliorer l'efficacité économique du système et accroître l'incitation des acteurs concernés à réduire leurs émissions à court et moyen terme.
Comité de place France Carbone
Le comité aura trois sujets à sa charge. La première sera d'organiser les enchères de manière intelligentes. ''La France poursuit l'idée que le marché du carbone soit de plus en plus homogène, intègre et transparent et nous pensons que l'idée d'une plateforme unique doit être poursuivi, a précisé Pierre-Franck Chevet. Nous avons des discussions complexes et nous avons besoin des réflexions de ce comité pour avancer dans ces discussions'', a-t-il admis. La France défend actuellement cette position dans les négociations européennes, avec à ses côtés la majorité des Etats membres de l'Union européenne, parmi lesquels l'Italie et les Pays-Bas. Le Royaume Unis et l'Allemagne y sont toutefois opposés.
Deuxième problématique pour le comité : la régulation des marchés. ''On a vu suffisamment de désordre résultant de l'absence de régulation ces derniers temps, a rappelé Mme Lagarde. Ce n'est pas la régulation pour la régulation que nous souhaitons ! C'est la régulation pour fluidifier les échanges et limiter les abus'', a-t-elle ajouté, rappelant les fraudes récemment constatées. Le parquet de Paris a notamment ouvert au printemps une enquête pour suspicion de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de plusieurs millions d'euros sur le marché français du carbone. ''Le marché du CO2 a des perspectives de croissance et de développement absolument énormes et la France est soucieuse du bon fonctionnement de ce marché, a souligné la ministre.
C'est d'ailleurs le sens des recommandations de la sénatrice du Bas-Rhin Fabienne Keller (UMP). Dans une proposition de résolution transmise le 18 novembre dernier, Fabienne Keller explique que le système d'échange de quotas de CO2 mis en place en Europe depuis 2005 présente des ''faiblesses importantes''. ''Ce système est jeune, en forte croissance mais souffre d'une absence de régulation et d'un cadre normatif très léger'', explique-t-elle en ajoutant la forte volatilité des cours des quotas et les risques de fraude. La sénatrice estime de ce fait que ce marché devrait être mieux encadré avec ''des règles et un gendarme afin de construire un marché transparent, limiter les manipulations et assurer un processus d'enchères lisible et équitable''. Pour cela, Fabienne Keller préconise la rédaction d'une nouvelle directive, la création d'une autorité européenne de surveillance et d'une plateforme européenne unique pour organiser les enchères. Un rendez-vous politique est prévu puisque la Commission entend faire avancer un certain nombre de textes en 2010. Un règlement communautaire devrait en effet préciser en juin 2010, le cadre institutionnel et les modalités pratiques des enchères en Europe.
Enfin, la troisième mission du comité sera d'intégrer ce nouveau marché carbone avec des instruments financiers au niveau international qui sortiront de Copenhague.
Mise en place
Le Comité devrait se réunir deux fois par ans. Une trentaine de participants devraient y participer, représentants les industriels, les financiers et les pouvoirs publics, souligne Henri Lamotte, chef du service des politiques publiques à la direction générale du Trésor et de la politique économique au ministère de l'économie et des finances. Il pourra s'appuyer sur des ateliers thématiques qui auront pour objet d'approfondir les réflexions sur un certain nombre de sujets-clefs comme - la régulation et la surveillance du marché des quotas de CO2 ou l'organisation des enchères de quotas de CO2 en phase III.
Sur le développement de la « filière carbone » sur la place de Paris, il pourra s'appuyer sur les travaux et les structures de concertation créés par Paris Europlace en 2008. En parallèle, un groupe d'experts sera constitué autour des services de l'Etat comme plate-formes d'échanges et de réflexions sur les principaux enjeux économiques soulevés par le développement des marchés du carbone avant et après 2012 : l'analyse économique du marché de quotas européen (dynamiques de prix, transparence de l'information…) et les améliorations possibles, l'impact des marchés du carbone sur la compétitivité des entreprises, l'interconnexion du marché européen avec les mécanismes de projets internationaux.
D'ailleurs, lors de la mise en place du Comité, Jean-Louis Borloo a estimé que le marché du carbone n'avait pas encore réussi à garantir une redistribution en direction des pays les plus vulnérables pour les aider à s'adapter dans la lutte contre le changement climatique. ''95% des fonds vont dans les pays puissants, industriels, émergents et détenteurs de devises, a-t-il rappelé. Il faut mettre donc en place un autre système, secondaire, en faveur des pays les plus vulnérables''.