Relancer, encore, les travaux sur la fiscalité écologique : c'est ce à quoi s'est attelé Nicolas Hulot. "Est-ce que tout n'a pas été dit sur le sujet ?" a fait mine de s'interroger le ministre de la Transition écologique et sociale. Désormais, l'objectif est de dépasser la gestion "au coup par coup", loi de finances après loi de finances. "Nous sommes dans le registre de la fiscalité comportementale. Le but est de créer de nouveaux comportements, pas des recettes complémentaires. D'où ce travail en amont des discussions budgétaires", a cadré Nicolas Hulot.
Des réflexions déjà bien avancées
Selon un état des lieux dressé en janvier 2017, les taxes environnementales se sont élevées à 47 milliards d'euros en 2015, soit un peu plus de 2% du PIB, ce qui place la France au 22ème rang sur 28 pays de l'Union européenne. Mais la France semble rattraper son retard, étant passée à la 19ème place en 2016.
Avec la loi de finances 2018, la fiscalité environnementale s'est enrichie : augmentation de la composante carbone dans la fiscalité énergétique, alignement progressif des fiscalités de l'essence et du diesel fixée pour 2022, paquet solidarité climatique, plan de rénovation des passoires énergétiques. "Depuis 2008, on a rattrapé la part de fiscalité écologique dans le PIB, après un décrochage dans les années 90", note Laurence Monnoyer-Smith, commissaire générale au développement durable au ministère.
Plusieurs chantiers sont déjà ouverts. Le plus avancé est sans doute celui de l'économie circulaire. Des simplifications administratives sont à trouver pour développer la tarification incitative des déchets. "L'objectif de 15 millions d'habitants en 2020 ne sera pas tenu, alors que c'est un outil sans équivalent pour changer les comportements", explique le député LRM Matthieu Orphelin. Une nouvelle trajectoire pour l'augmentation de la TGAP sur l'enfouissement des déchets est quasiment acquise. "Nous conserverons les taux prévus pour 2018 et 2019. L'augmentation sera lisible et progressive à partir de 2020", prévient-il. Des outils simples peuvent également être activés rapidement pour favoriser l'intégration de matières recyclées dans l'industrie, à l'instar du programme Orplast pour les plastiques, ou l'éco-modulation (un système de bonus) dans les filières REP. D'autres sujets sont plus complexes. "On se sert encore, aujourd'hui, des travaux de la commission Quinet sur le prix du carbone. Il faut faire la même chose avec le prix des matières premières", réclame Matthieu Orphelin.
Plaidoyer pour la créativité fiscale
Les membres des commissions devront également plancher sur le cadre fiscal de la mobilité. "Le transport est le premier émetteur de CO2 en France. Ce sera très difficile à diminuer", indique Patrick Oliva, expert de la mobilité. L'enjeu est de soutenir la mutation énergétique et technologique vers la mobilité électrique, en facilitant notamment les installations de recharge électrique et hydrogène. "Mais pas trop tôt, au risque de favoriser les importations." Il faudra également accompagner l'économie de partage et valoriser les indemnités kilométriques quel que soit le mode de transport. Enfin, il y a "urgence" à étudier des solutions pour le fret, premier poste émetteur dans le transport, et en pleine explosion.
Autre sujet pour lequel le CEDD et le CEV devront être créatifs : la lutte contre l'artificialisation des sols, qui croise plusieurs réglementations (urbanisme, immobilier, politique agricole…). "Il ne faut surtout pas créer de taxe supplémentaire. Ce ne serait pas suffisant pour lutter contre l'étalement urbain", tranche Guillaume Sainteny, maître de conférence à l'Ecole polytechnique. Le recentrage du dispositif Pinel (1) sur les zones en tension est déjà un premier pas. D'autres outils existent pour lutter contre l'étalement urbain, comme le versement en sous-densité, peu utilisé faute d'être obligatoire. La taxe d'aménagement pourrait également être modifiée pour être plus verte. "Le foncier non bâti est moins rentable que le foncier bâti. Les loi Littoral, Montagne, et autres ne sont pas suffisantes pour protéger les sols", constate Guillaume Sainteny.
Des mesures devront également porter sur l'innovation sociale – un thème jusqu'à présent très peu abordé par le biais de la fiscalité - pour favoriser le don et développer la finance solidaire.
Anticiper le ras-le-bol fiscal
Cependant, le sujet est loin d'être uniquement technique. "Il n'y aura pas de fiscalité écologique si elle n'est pas centrée sur son acceptabilité. Tout est prêt pour une révolte anti-taxation du carbone, si on s'y prend mal", avertit Jean-Charles Hourcade, chercheur au CNRS. Les secteurs sensibles sont identifiés – agriculture, transport routier, pêche – et devront être accompagnés, tout comme les ménages fragiles. L'écueil du droit est également identifié. Plusieurs mesures ont déjà été censurées par le Conseil constitutionnel. "Le principe d'universalité de l'impôt a été renforcé par le législateur pour améliorer les comptes publics. La fiscalité environnementale justifie-t-elle un traitement particulier ? Des dérogations pourraient être possibles", avance Guillaume Leforestier, membre du Conseil d'Etat, en plaidant pour une taxation large avec redistribution plutôt que des dérogations.
Le CEDD et le CEV vont maintenant devoir s'organiser pour traiter en détail tous les sujets. Le CEDD va se pencher sur les sujets transversaux (droit, macro-économie, innovation, lien avec l'Union européenne, industrie) et le CEV sur les sujets thématiques. Dans les deux cas, les parlementaires seront associés aux travaux, comme pour les groupes de travail de la feuille de route sur l'économie circulaire. Un cadre d'ensemble et des mesures devraient être finalisés en amont des discussions budgétaires pour le projet de loi de finances 2019, voire les années suivantes.