« Le rapport de RTE est une bonne nouvelle climatique : la France a désormais un GPS pour atteindre la neutralité carbone en 2050. » Tel est le sentiment du gouvernement, en la personne de la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, au regard des scénarios de mix électrique possibles pour 2050 rendus par RTE. Ce sentiment n'est néanmoins pas partagé au sein de la classe politique, des ONG ou think-tanks environnementaux, en fonction des sujets abordés.
Le nucléaire, accusé de favoritisme
Le principal point de débat – et surtout de discorde – concerne l'avenir du nucléaire. Parmi les scénarios de sa trajectoire prospective de référence, RTE envisage, pour certains, de mettre en service jusqu'à 14 nouveaux réacteurs de type EPR2 et plusieurs petits réacteurs modulaires (SMR) d'ici à 2050. L'opérateur prévoit aussi de prolonger, en parallèle, l'exploitation des réacteurs en activité jusqu'à soixante ans. RTE indique que cette perspective offrirait même la « solution la plus économique », en plus d'un soutien accru aux énergies renouvelables. Pour rappel, le président de la République, Emmanuel Macron, a déjà annoncé un plan d'investissement d'un milliard d'euros pour le nucléaire dans le cadre de France 2030. De plus, la ministre de l'Écologie a confirmé, lors d'une conférence de presse, ce mardi 26 octobre, qu'il s'exprimera sur la mise en service de nouveaux EPR (attendus au nombre de six) « avant la fin de l'année ». Cette décision sera prise à la lumière d'un nouveau rapport sur le nouveau nucléaire « en cours de finalisation dans les prochains jours ou semaines », annonce la ministre.
« Je trouve honteux que Yannick Jadot parle de manipulation » répond Barbara Pompili, au micro de France Inter, considérant les propos du candidat des Verts « à la limite du complotisme ». Le député européen n'est néanmoins pas le seul à souligner l'incertitude à laquelle s'exposerait potentiellement l'État en favorisant ainsi le nucléaire. Nicolas Nace, chargé de campagne transition énergétique pour Greenpeace, estime qu'à « l'heure où on se demande si l'industrie nucléaire est encore capable de construire un seul réacteur, parier sur 14 EPR reviendrait à condamner la transition énergétique et la lutte contre les changements climatiques au même fiasco que l'EPR de Flamanville ». Le Réseau Action Climat (RAC), quant à lui, craint que « les scénarios qui misent sur de nouveaux réacteurs (EPR ou SMR) seront trop lents pour avoir un impact sur le climat dans la décennie qui vient et ont de fortes probabilités de donner lieu à une explosion des coûts ». Face à de tels doutes, la ministre de l'Écologie a simplement invité ses concitoyens à en débattre « sur les réseaux sociaux et dans les médias ». Elle a par la même infirmer la possibilité d'une éventuelle convention citoyenne à ce sujet, en amont de la prise de décision d'Emmanuel Macron.
Pas d'avenir sans énergies renouvelables ?
A contrario, l'ensemble des réactions saluent presque unanimement la vision future des énergies renouvelables portée par RTE. Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, l'opérateur a en effet insisté sur la nécessité de compter sur 50 à 100 % d'énergies renouvelables dans le mix électrique à cette échéance. « En démontrant que les énergies renouvelables électriques constitueront le socle de notre futur système énergétique, les scénarios présentés par RTE actent un changement de paradigme majeur, dans lequel les énergies renouvelables joueront un rôle essentiel pour réduire la dépendance de notre pays aux énergies fossiles », se félicite, par exemple, le Syndicat des énergies renouvelables (SER) dans un communiqué. « Le développement massif de toutes les énergies renouvelables est urgent et nécessaire, retient le Réseau pour la transition énergétique (Cler). Elles garantissent une capacité de production additionnelle à coûts maîtrisés, qui concourt à la sécurité d'approvisionnement du pays, face à la baisse de disponibilité du parc nucléaire actuel et des incertitudes sur la mise en service de nouveaux réacteurs. »
À la lecture du rapport de RTE, Maxime Combes, économiste et auteur de « Sortons de l'âge des fossiles ! Manifeste pour la transition » (2015, éd. Seuil), évoque, sur Twitter, que « le rythme actuel de déploiement des énergies renouvelables ne va pas du tout » tandis que « tous les scénarios de RTE s'appuient nécessairement sur un développement massif des énergies renouvelables ». Selon lui, ces dernières « sont non négociables, contrairement au nucléaire », ce que « beaucoup ne semblent pas comprendre ». En amont de la prochaine Stratégie nationale bas carbone (SNBC) et de la nouvelle Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) en 2023, Nicolas Wolff, président du syndicat France Énergie éolienne (FEE), appelle, de son côté, le gouvernement à agir rapidement en ce sens. « Les décisions qui seront prises à brève échéance seront déterminantes pour la mise en œuvre des politiques publiques qui assureront le bon développement des énergies renouvelables et l'atteinte la neutralité carbone de la France à horizon 2050. »
Quid de la trajectoire de sobriété ?
En outre, la publication elle-même du rapport de RTE questionne. Les principaux scénarios (et leurs évaluations économiques correspondantes) présentés dans un premier temps par l'opérateur ne concernent que la trajectoire de référence. Celle-ci envisage une augmentation de la consommation d'électricité de 35 %, l'amenant à 645 TWh/an en 2050. Deux autres trajectoires (ainsi que plusieurs variantes) ont été étudiées par RTE. L'une d'elles, dite « de sobriété », ramène cette consommation électrique à seulement 555 TWh/an. À titre de comparaison, cette analyse rejoint celle développée par le nouveau scénario de l'association Négawatt, publié avec quelques jours d'avance sur le rapport de RTE et élaboré à même échéance. Les scénarios et coûts économiques de la trajectoire de sobriété pensée par RTE ne seront néanmoins pas détaillés – et donc décortiqués – avant la parution du rapport complet en janvier 2022.
Célia Gautier, responsable climat et énergie au sein de la Fondation Nicolas-Hulot (FNH), compare ce décalage à un « important problème de communication » : « nous n'avons pas aujourd'hui toutes les données en main pour prendre les bonnes décisions. Cette analyse partielle ne peut que conduire à des décisions hâtives. » Selon elle, la question de la sobriété énergétique devrait être « centrale ». Le RAC partage cet avis, qualifiant la sobriété « d'option sans regret » et affirmant qu'elle doit faire l'objet de « politiques publiques ambitieuses ne pouvant se limiter aux "petits gestes" (individuels des citoyens) ». L'association rappelle même qu'une telle trajectoire permettrait, entre autres, « d'après RTE » de « relâcher la pression sur le rythme nécessaire de développement des énergies bas carbone ». Le Cler, quant à lui, insiste : « Face à la hausse inéluctable des prix de l'énergie et la volatilité du marché, réduire notre consommation est un gage de sécurité collective et de résilience. »
Appel collectif au débat
Chaque acteur participant au débat appelle, par ailleurs, à l'ouverture d'un débat démocratique à la lumière des futurs systèmes électriques que propose RTE. La ministre de l'Écologie, Barbara Pompili, se réjouit des « bases plus saines » qu'offrent les travaux de l'opérateur pour nourrir les discussions. Elle invite désormais à en discuter au cours de la prochaine campagne présidentielle, qu'elle qualifie de « meilleur lieu de débat ». Pour le RAC, cette campagne sera effectivement « un moment clé du débat public ». L'association, prudente, énonce cependant que « l'heure n'est plus dès lors au renoncement ou à des décisions unilatérales ».
« Il n'est plus possible que la transition énergétique se décide en petit comité entre Bercy, l'Élysée et les géants du nucléaire, clame, à son tour, Nicolas Nace, de Greenpeace. Les citoyens et citoyennes doivent devenir de véritables acteurs de la transition énergétique, ils ne sont pas des pions à qui on impose des décisions. » Et la FNH de conclure : « Le choix de notre avenir énergétique appartient aux Françaises et aux Français. Il n'appartient pas au président de la République de trancher aujourd'hui, mais d'organiser les conditions d'un réel débat démocratique. »