Réunir les acteurs du territoire pour construire un projet commun de retour à l'équilibre entre besoin et ressource en eau disponible, avec comme conditions le respect des écosystèmes aquatiques, dans un contexte de changement climatique : c'est dans les grandes lignes l'objectif des projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE).
Si l'approche semble vertueuse, la mise en pratique dans les territoires reste plus ardue. « Des tentatives de passage en force essayent de réduire ce qu'est un projet de territoire pour la gestion de l'eau [PTGE], regrette Florence Denier-Pasquier, vice-présidente de France nature environnement (FNE). Il faut régulièrement rappeler que c'est une démarche globale inter-acteur et pas uniquement que pour les usagers ».
Cette ambiguïté trouve son origine dans la construction de l'outil. Au départ, les PTGE ont été proposés en 2013 comme la condition à l'apport d'aides financières des agences de l'eau pour la construction de retenues de substitution. Un an avant, toutes formes de soutiens financiers avaient, en effet, été suspendues.
En 2015, une première instruction ministérielle est venue encadrer la démarche : celle-ci précise que les PTGE visent au retour à l'équilibre quantitatif sur le territoire ainsi que la diminution de l'impact environnemental. « Le stockage d'eau sera un des outils mobilisés dans le projet de territoire pour réduire les déficits quantitatifs, mais il ne sera pas le seul levier mobilisé », soulignait le document.
La méthodologie se confronte aux réalités de terrain
Toutefois devant le faible nombre de PTGE finalisé, une cellule d'expertise (1) sur la gestion de l'eau en agriculture s'était penchée, en novembre 2017, sur les points de blocage. De leurs constats a notamment découlé un guide méthodologique (2) sur les méthodes d'évaluation économique et financière, ainsi que des outils qui ont été rassemblés dans un portail documentaire technique (3) , et surtout, une nouvelle instruction a été proposée en mai 2019 pour préciser aux acteurs concernés la méthode à appliquer.
Celle-ci implique davantage les préfets en précisant leur rôle. Ainsi, le préfet coordonnateur de bassin doit approuver le diagnostic des besoins en eau et des ressources disponibles, le programme d'action et les volumes d'eau associés. Le préfet référent veille à ce qu'un volet sur des mesures de sobriété - obligatoires - soit présent et assure un suivi des actions. « Le stockage d'eau ou le transfert, y compris pour l'irrigation ou le soutien d'étiage, est envisageable lorsque, combiné à d'autres actions du PTGE, il contribue à l'atteinte de l'équilibre, dans la durée, entre besoins et ressources, dans le respect de la bonne fonctionnalité des écosystèmes aquatiques, et que l'ensemble s'inscrit dans une démarche sobre. Il n'est donc pas systématique, note-t-elle. Lorsque les ressources et les milieux le permettent, il peut aller au-delà de la seule substitution. »
Des outils différents d'un bassin à l'autre
Cette nouvelle instruction, ainsi que celle de 2015, sont venues se greffer sur des projets locaux plus anciens de territoires qui connaissaient déjà des tensions sur la ressource. Les trois bassins les plus particulièrement concernés, Loire-Bretagne, Adour-Garonne et Rhône-Méditerranée-Corse (RMC) avait déjà développé différents outils pour essayer de pallier les pénuries.
Ainsi, le bassin RMC disposait de plans de gestion pour la ressource en eau (PGRE). « Avec les PGRE, nous considérons que nous avons les exigences minimales du PTGE. Il nous reste à mieux préciser, notamment dans le cadre du prochain schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux, comment le PGRE intègre l'anticipation du changement climatique, souligne Thomas Pelte, expert climat pour l'agence de l'eau RMC. Nous souhaiterions que l'ensemble des solutions soient interrogées collectivement selon des scénarios de futurs ». Le bassin compte aujourd'hui 74 territoires considérés comme prioritaires, dont 55 pour lesquels le PGRE a été validé par le comité de pilotage (4) . Quatorze sont en cours d'élaboration et cinq sont bloqués.
Le bassin Loire-Bretagne s'est, quant à lui, appuyé sur les contrats territoriaux de gestion quantitative (CTGQ). « L'outil permet de mobiliser des fonds pour la construction de réserve de substitution et inclut systématiquement des actions d'économie d'eau et de changement de pratiques agricoles pour réduire la dépendance de l'agriculture à l'irrigation », expliqueThomas Viloingt chargé de mission agriculture pour l'agence de l'eau.
Des degrés de maturité hétérogènes
L'évaluation économique des PTGE : une méthodologie en construction
L'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (Irstea) a publié un guide d'aide à la réalisation d'analyses économiques et financières des projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE) à composante agricole.
L'objectif ? Permettre d'évaluer le réalisme, la rentabilité et la pertinence des actions envisagées et fournir aux acteurs des éléments de comparaison de différents scénarios du devenir du territoire. La méthodologie proposée pourrait néanmoins évoluer en fonction des retours d'expérience. Des ateliers autour du guide seront proposés dans cet objectif. Autre aspiration : créer une communauté de porteurs de projets et de maîtres d'ouvrage sur les PTGE.
Pour deux autres projets « historiques », qui concernent les masses d'eau Clain et Curé, le processus de concertation devrait être relancé pour trouver un consensus sur la définition des volumes dans le cadre de la démarche PTGE.
Les réflexions sont également en cours sur les volumes nécessaires et disponibles ainsi que sur les actions à mettre en regard pour les territoires de Thouet-Thouaret-Argenton et du bassin du Cher.
Enfin, un PTGE (5) devrait être lancé pour le secteur d'Allier-Aval : la démarche est en train de se structurer.
S'accorder sur les volumes disponibles et les besoins
Dans le bassin Adour-Garonne, l'instruction de mai 2019 recense dix initiatives pour gérer la pénurie d'eau.
Parmi ces projets, celui du contesté barrage de Sivens (Tescou) poursuit son analyse des besoins en eau et de leur partage. « Un schéma de principe a été retenu par les acteurs : optimiser l'utilisation de la retenue multi-usages du Thérondels, mais également des autres retenus collinaires existantes, et ensuite regarder si un ouvrage est nécessaire et à quelle hauteur », précise Franck Solacroup.
Parmi les autres bassins, celui de Seine-Normandie compte deux démarches en cours, le PTGE Puiseaux-Vernisson (nappe de la Beauce), et celui de l'Aronde, en phase d'émergence. Le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) travaille également à un modèle de gestion de la nappe de la Craie prenant en compte les conséquences du changement climatique.
Le bassin Rhin-Meuse et Artois-Picardie, quant à eux, ne disposent d'aucun projet de PTGE. Pour le second, une étude a toutefois été lancée en septembre sur l'aspect quantitatif de la ressource en eau.
Face à la disparité des approches et des outils, certains acteurs, comme l'association FNE, souhaiteraient un suivi plus important des PTGE, notamment au niveau national. « Le comité de suivi hydrologique pourrait être l'instance de suivi de façon régulière, au moins annuel, des projets de territoire », estime Florence Denier-Pasquier, vice-présidente de l'association.