Deux approches sont possibles en matière de planification des transports. L'approche conventionnelle, selon laquelle on se contenterait de satisfaire la demande de mobilité, à partir d'une vision business-as-usual de l'économie, qui ne se poserait pas la question des limites physiques. Et une approche qui propose de « changer de lunettes ». C'est en ces termes que se pose le débat sur les choix de mobilité du Grand Paris, annonce Hélène Le Téno, consultante du cabinet Carbone 4, fondé par l'ingénieur Jean-Marc Jancovici, lors d'un séminaire organisé le 24 janvier par la Chaire du développement durable de Sciences Po Paris.
Le point de départ de l'étude présentée par Carbone 4 est fourni par le graphique de phasage des récessions avec le prix réel du pétrole. En 2008, la récession a suivi la hausse du baril, et il y a bien une corrélation entre énergie et économie. La croissance dépend de la fourniture de pétrole, dont tous les géologues attestent qu'elle ne pourra continuer à répondre à la demande, souligne Jean-Marc Jancovici. « Changer de lunettes veut dire s'intéresser à la contrainte sur l'offre, prendre en considération le lien systémique entre énergie et économie, y ajouter la réalité climatique et la contrainte du Facteur 4 », expose Hélène le Téno. L'évolution du prix du baril annonce « un monde plus incertain, plus volatil, qui incite à penser plusieurs futurs possibles en termes de résilience, dans le cadre d'une transition vers une économie décarbonée.»
Une mobilité sous contrainte pétrolière
Dans ce contexte, l'étude de Carbone 4 part de l'hypothèse qu'à l'avenir, la mobilité automobile va être sous contrainte. « La contrainte de stock précède la contrainte climat », insiste Jean-Marc Jancovici. Dans ce « paysage du futur », il va falloir compenser le manque d'hydrocarbures par des substituts qui atténueront plus ou moins les effets post pic et la répercussion du prix du baril sur le taux de croissance. En tout état de cause, le cabinet de Jean-Marc Jancovici envisage comme scénario plausible que, sans substitut énergétique, le manque de carburant s'aggrave dès 2015. La hausse du prix du pétrole entraînant mécaniquement une baisse des revenus, la contrainte économique est certaine pour les ménages modestes, qui n'auront pas les moyens de doubler leur budget transport.
Cette hypothèse étant posée, les projets ferrés se présentent comme une opportunité. Toutefois, leur impact carbone est variable. Exemple : le creusement d'un tunnel en région parisienne émet quelque 40.000 tonnes de CO2 par km en raison de l'énergie consommée par le tunnelier, l'utilisation de matériaux tels que le béton et l'acier pour conforter les parois, et les engins de déblayage. Les émissions dégagées par la construction d'une ligne de métro en souterrain sont donc significatives.
Gains de résilience
A contrario, restructurer le réseau de transports en commun permettrait non seulement d'éviter les doublons, mais de réduire à la fois le CO2 et le montant des investissements. Les projets de tram-train et le renforcement des lignes de RER existantes inscrits au Schéma directeur de l'Ile-de-France (SDRIF) coupleraient efficacité économique et efficacité en termes de CO2. « Ces projets auraient un avantage résilience dans un contexte de stagnation économique », souligne l'étude de Carbone 4, qui insiste sur ce critère de gain de résilience économique et climatique. Le coût de la tonne de CO2 évitée sera plus raisonnable pour les projets de rénovation des lignes de RER que le projet de métro automatique « plus risqué, à moins de considérer que la croissance économique est capable de s'affranchir de la contrainte pétrole et que la région Ile-de-France ne contribuera pas au Facteur 4 », résume Jean-Marc Jancovici.
En tout état de cause, les projets lourds en investissements et en infrastructures seront à éviter dans le cadre du Grand Paris, tant en raison de leur bilan CO2 que de la capacité de la société à la financer, souligne l'étude. Reste à savoir si la voix des experts sera entendue.