Existe-il vraiment un lien entre les troubles survenus dans deux élevages bovins de Loire-Atlantique et la présence d'éoliennes à proximité ? Près de dix ans après la construction du parc éolien en question, les études et expertises se suivent et apportent progressivement un éclairage. Dernière en date : celle de l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), qui répond par la négative. Saisie en mai 2019 par les ministères de la Transition écologique et de l'Agriculture, elle a délivré son avis final, (1) le 13 octobre 2021, duquel le gouvernement a annoncé « prendre acte » ce mardi 21 décembre.
Retour sur l'affaire de Nozay
Le parc éolien, dit « des Quatre Seigneurs », se compose de huit éoliennes de 90 mètres de haut et de 2 mégawatts (MW) chacune. Il se situe à proximité de la commune de Nozay (Loire-Atlantique) ainsi qu'à environ 800 mètres d'un premier élevage bovin, près du village de Saffré, et entre 1 300 et 1 500 mètres d'une seconde exploitation, proche de Puceul. Très rapidement après la mise en service du parc au cours de l'année 2013, les deux éleveurs ont déclaré constater chez leurs animaux des troubles comportementaux, une diminution de la quantité et de la qualité du lait, des cas de mammites et une augmentation de la mortalité.
À la fin de l'année 2014, une saisie du préfet local a entraîné la mobilisation du Groupe permanent pour la sécurité électrique en milieu agricole (GPSE). À la suite d'une année d'expertises, le GPSE a confirmé une « concomitance » entre le parc éolien et les troubles recensés. Il ne parvient cependant pas à identifier de « lien de causalité évident, sachant que sur une des deux exploitations, la conduite de l'élevage était dégradée depuis de nombreuses années. » Au printemps 2017, un arrêt inopiné du parc semble néanmoins se traduire par une amélioration de la situation des élevages. Conjointement au lancement de plusieurs poursuites judiciaires, les éleveurs ont continué leur propre mobilisation.
Des phénomènes de courants électriques « parasites » ou « vagabonds » et d'autres natures liées à la situation hydrogéologique du sol en seraient responsables. « Plusieurs exploitations du secteur avec des sous-sols différents, tout aussi près des éoliennes, n'ont pas eu à connaître de telles difficultés. » Cela étant, les experts de l'Anses ont aujourd'hui conclu que l'imputabilité des troubles des bovins aux éoliennes était « majoritairement exclue », et donc « hautement improbable ».
Les installations électriques des exploitations mises en cause
Pour parvenir à cette conclusion, le groupe de travail mis en place par l'Anses s'est appuyé sur la même documentation, mais également sur les auditions ainsi que les mesures (d'infrasons, électriques, d'analyse des eaux de forage, etc.) précédemment réalisées. Ces données sont venues alimenter la création de simulations. Grâce à elles, l'Anses a pu évaluer la part attribuable aux éoliennes dans les différents niveaux d'exposition à une liste « d'agents physiques » (champs électromagnétiques, ondes sonores, vibrations au sol, etc.). Ainsi, pour la quasi-totalité des phénomènes physiques examinés, le niveau de probabilité que l'un d'eux provienne spécifiquement de l'activité d'une éolienne a été jugé nul par les experts.
Deux explications principales ressortent : la chronologie des troubles et la comparaison du niveau d'exposition aux mêmes agents physiques dans d'autres exploitations. Selon l'Anses, les mammites, la baisse de la production laitière, les troubles de reproduction et de mortalité « ne manifestent pas d'apparition ou d'évolution significative qui puisse être associée à la période de mise en service des éoliennes ». Par ailleurs, pour les autres troubles recensés chez les bovins des deux exploitations, l'agence certifie que les éoliennes « ne contribuent que faiblement » aux niveaux d'exposition rencontrés habituellement dans un élevage. En outre, « ni les informations collectées auprès d'une vingtaine d'homologues de l'Anses à travers l'Europe, y compris dans des pays où l'éolien est plus développé, ni l'analyse bibliographique n'ont rapporté l'existence de problèmes de cette nature », complètent les experts de l'agence.
L'avis de l'Anses fait néanmoins mention d'un niveau inhabituel d'exposition aux courants parasites au sein des bâtiments des deux élevages, dont la part attribuable aux éoliennes est donc jugée faible. Il met plutôt en cause l'état des installations électriques des deux exploitations. Un défaut d'isolation ou un « effet pile » généré par la rouille pourrait générer de tels courants, auxquels les bovins sont particulièrement sensibles.
Vers la constitution d'un protocole national d'évaluation standardisé ?
Autrement dit, malgré quelques réponses et pistes d'exploration, l'Anses ne donne pas exactement une conclusion catégorique à cette affaire. Ses experts se justifient à cet égard par un manque cruel de « données fiables, complètes et utilisables » du fait de l'ancienneté du dossier et du caractère morcelé des informations mises à disposition. Ils préconisent dans cette optique une série de recommandations applicables à l'échelle nationale et, pour certaines, sur le plan local.
Parmi les prescriptions nécessaires pour améliorer les investigations sur le parc éolien des Quatre Seigneurs, l'Anses réclame la réalisation de mesures d'infrasons, de conductivité du sol et électromagnétiques – pas seulement sous les éoliennes, mais également sous les lignes à haute tension locales – ainsi qu'une cartographie fine des courants parasites et un audit des machines des élevages. Le rapport du CGEDD et du CGAAER recommandait même d'effectuer un test d'arrêt total du parc éolien durant trois semaines, avec au moins dix jours complets d'inactivité, pour évaluer plus finement les courants électriques parasites de la zone, avec ou sans éoliennes actives. Confirmant la réalité et la gravité des troubles observés chez les bovins, il privilégiait, entre autres, la mise en œuvre d'un « plan d'accompagnement à la reconversion ou à la relocalisation » des deux élevages.
La poursuite des investigations en 2022
L'affaire ne s'arrête toutefois pas là. L'Anses évoque notamment l'apparition de troubles similaires dans un autre élevage de vaches laitières depuis la mise en service d'un autre parc éolien (de 12 MW) près de Conquereuil (Loire-Atlantique), à une quinzaine de kilomètres au nord-ouest de Nozay, en 2018. Ce cas pourra certainement faire l'objet, à l'avenir, du même type d'évaluations que celles réalisées à Nozay. Par ailleurs, l'École vétérinaire Oniris de Nantes viendra bientôt compléter les audits vétérinaires déjà effectués dans les deux élevages de Nozay par une étude comportementale et des analyses bactériologiques. Enfin, il reste encore à connaître les résultats de l'expertise des câbles électriques du parc éolien des Quatre Seigneurs, ordonnée fin novembre par le tribunal judiciaire de Nantes. Cette expertise doit être rendue au plus tard le 31 juillet 2022.