« Nous ne lâcherons rien et continuerons à exiger collectivement un moratoire sur tous les projets de mégabassines », ont assuré le collectif Bassines non merci, la Confédération paysanne et les Soulèvements de la Terre. Les trois associations ont appelé à une mobilisation internationale du 24 au 26 mars en Poitou et aurait reçu l'appui de 200 organisations politiques, syndicales et écologistes. Elles prévoient notamment un rassemblement sur le site de la construction de la retenue des Terres rouges, dans la commune de Sainte-Soline, et/ou le site de celle de Mauzé-sur-le-Mignon, dans les Deux-Sèvres. « Nous sommes très inquiets des risques qu'un tel rassemblement fait peser sur nos outils de travail », a, quant à lui, réagi Thierry Boudaud, le président de la Coop de l'eau 79 (1) , coopérative qui porte le projet de création de 16 réserves de substitution réparties dans les Deux-Sèvres, en Charente-Maritime et dans la Vienne. Leur inquiétude a été entendue par la préfecture des Deux-Sèvres qui a interdit toutes manifestations et attroupements dans 17 communes du département du 24 au 26 mars.
569 grands ouvrages et 600 000 à 700 000 petits plans d'eau
À l'échelle nationale, 560 grands ouvrages ont été recensés en France métropolitaine, pour environ 10 milliards de mètres cubes. Plus nombreuses, les petites retenues sont également plus difficiles à quantifier. Les scientifiques tableraient toutefois, selon les méthodes, sur 600 000 à 700 000 petits plans d'eau pour une surface de 4 000 à 4 500 km2 (0,7 à 0,8 % de la France).Des retenues catégorisées en fonction de leur alimentation
D'une façon large, les retenues sont des plans d'eau artificiels. Mais cette première approche cache une multitude de types de stockage d'eau. Pour y voir plus clair, les scientifiques en ont distingué cinq sortes en fonction du mode d'alimentation. Première catégorie : les retenues qui se remplissent grâce à la nappe, appelées parfois bassines. Le second type réunit les retenues qui pompent dans les rivières. Les retenues collinaires constituent la troisième catégorie. Ce sont normalement des ouvrages remplis lors de la période de pluie pour éviter des prélèvements en période d'étiage. Elles sont également en principe strictement alimentées par le ruissellement et déconnectées du réseau hydrographique. La quatrième catégorie sont les retenues en dérivation, avec deux configurations possibles : soit le cours d'eau est dévié vers la retenue, soit la retenue est installée sur un bras annexe. Enfin, le dernier type correspond aux retenues en barrage sur des cours d'eau.
« Les petits plans d'eau entre 10 et 1 000 hectares représentent la surface la plus importante, a situé Nadia Carluer, ingénieur-chercheur dans l'unité de recherche RiverLy de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), à l'occasion d'un webinaire organisé par le Centre de ressources et d'expertise scientifique sur l'eau de Bretagne (2) . Mais, en termes de nombre, les retenues de moins de 10 hectares sont écrasantes. » Un inventaire est en cours dans le cadre du Varenne agricole de l'eau.
Le monde de la recherche s'est également intéressé à l'influence de ces ouvrages sur les milieux. Les scientifiques ont identifié un certain nombre de conséquences de la présence d'une retenue - prise de manière isolée - sur le milieu : elle modifierait ainsi les volumes et la dynamique de l'écoulement et constituerait un piège à sédiments ou jouerait un rôle de stockage pour le phosphore et les éléments traces métalliques. « Pour ce qui concerne les pesticides, les retenues jouent plutôt un rôle tampon, car la dégradation et l'adsorption des produits vont pouvoir y advenir », a expliqué Nadia Carluer. Avec la présence de phosphore, d'azote et une température de l'eau souvent réchauffée, les retenues présentent un risque accru d'eutrophisation. Elles modifient également la structure des communautés vivant en aval, mais aussi en amont de l'ouvrage. « Ces petits plans d'eau pris individuellement n'ont pas forcément d'impacts majeurs pour le milieu, c'est leur multiplication qui pose un problème », a souligné Nadia Carluer. Or l'évaluation des impacts cumulés des retenues s'avère particulièrement complexe au vu de la diversité des situations possibles.
Une évaluation difficile de l'impact cumulé des retenues d'eau
Pour essayer d'y voir plus clair, le ministère de l'Environnement et aujourd'hui l'Office français de la biodiversité (OFB) avaient lancé une expertise collective (3) de 2014 à 2016. Le contexte s'y prêtait avec la mise en œuvre de la loi sur l'eau et les milieux aquatiques (Lema). Celle-ci visait notamment la diminution des volumes prélevables lors de l'étiage dans les bassins versants en tension. Et ceci a provoqué une augmentation de la demande de construction de retenues. En parallèle, sur le plan européen, une réforme des études d'impacts demandait l'évaluation des conséquences cumulées des projets de même nature. « Un des constats a été que les services de l'État sur les territoires, notamment les DDT [directions départementales des territoires], étaient démunies en termes de méthodes et d'outils pour évaluer les effets des retenues déjà présentes sur les bassins versants et si nous avions déjà dépassé le seuil préoccupant pour le milieu », a précisé Nadia Carluer.
Cette expertise scientifique a mis l'accent sur le manque de données et de résultats, notamment sur l'hydromorphologie (les effets sont principalement évalués pour les grandes retenues installées sur des cours d'eau), les processus biogéochimiques et écologiques. « La présence des retenues influence l'ensemble des caractéristiques fonctionnelles des cours d'eau, a noté Claire Magand, chargée des questions relatives à la gestion quantitative à l'OFB. La difficulté est d'évaluer leur singularité en fonction du territoire. »
Quelques grandes tendances ont toutefois pu être dégagées. « Sur l'hydrologie, l'analyse bibliographique montre une réduction forte des débits annuels pour les bassins fortement aménagés et cette diminution des débits annuels était d'autant plus marquée que les années étaient sèches », a expliqué Claire Magand. Les flux sédimentaires sont également modifiés avec des effets différents selon la position de la retenue dans le bassin versant. Les retenues jouent également sur la morphologie des cours d'eau, avec une réduction de la bande active (4) et la migration des chenaux (5) .
Un guide méthodologique mis à jour en 2023
À la suite de cette étude, l'OFB a publié en 2017 un
D'une manière plus large, pour l'ingénieur-chercheur de l'Inrae, l'installation de retenues implique une réflexion à l'échelle du territoire, mais suppose aussi une vision à long terme qui s'accompagne d'une évolution du modèle agricole. « Il existe déjà des retenues qui régulièrement ne se remplissent pas et nous pouvons penser qu'avec des années avec un hiver comme celui que nous vivons, cela se multiplie », a-t-elle averti.