"Si le report vers les véhicules bénéficiant d'un bonus a été spectaculaire, l'impact environnemental de la politique a été négatif", conclut la direction des études et synthèses économiques de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) qui publie un document de travail intitulé impact environnemental de la fiscalité verte : l'exemple du bonus-malus français (1) .
Effet rebond et hausse des ventes de voiture
Avec cette étude, l'Insee a évalué l'impact du bonus-malus introduit en janvier 2008 sur les émissions de CO2 à court et long termes en tenant compte des parts de marchés, des émissions moyennes au kilomètre, de la fabrication des véhicules, de la taille du parc automobile et du nombre moyen de kilomètres parcourus.
Pour cela, l'Institut a développé un modèle reliant le choix d'un véhicule et le kilométrage effectué avec le véhicule. La base exhaustive d'immatriculations des véhicules neufs et la dernière enquête Transport, qui fournit des informations sur les déplacements individuels, ont ensuite été appliquées au modèle.
Deux effets indirects ont été particulièrement étudiés par les services de l'Insee. En premier lieu, les chercheurs ont tenté d'évaluer l'effet rebond associé au bonus-malus : dans quelle mesure l'achat d'une voiture plus économe en carburant conduit à une augmentation du kilométrage annuel effectué par le propriétaire. Ensuite, l'étude évalue l'impact du bonus sur la hausse des ventes de voitures et sur la croissance du parc automobile français.
Un bonus qui soutient la croissance du parc
Au final, si l'effet environnemental est qualifié de négatif, les statisticiens de l'Insee ne rejettent en aucun cas la mesure. Ce résultat "très décevant", écrivent les trois statisticiens, "n'invalide pas les mécanismes de bonus comme outils de politique environnementale". L'échec est plutôt à mettre sur le compte d'un mauvais calibrage. Deux constats viennent étayer cette option.
Tout d'abord "les Français ont fortement réagi à l'incitation fiscale" écrivent les chercheurs qui se basent sur les statistiques des ventes de voitures neuves entre janvier 2003 et janvier 2009. Ils ont notamment observé des changements abaissant significativement la moyenne des émissions des voitures neuves vendues dès janvier 2008.
Par ailleurs, leur simulation évalue une baisse du bonus : si celui-ci passe à 700 euros au lieu de 1.000 pour la classe A-, à 200 euros au lieu de 700 euros pour la classe B et à 0 euros au lieu de 200 pour la classe C+, alors la mesure devient neutre en termes d'émissions de CO2. "Le problème vient donc plutôt des seuils retenus pour le bonus-malus", expliquent les chercheurs qui estiment que "pour obtenir un effet environnemental positif, le plus important avec ce type de mesure est de la calibrer de telle sorte à ce que les ventes totales de voitures baissent ou restent stables".
Une hausse de 50.700 tCO2 à court terme
Malgré une baisse des émissions trimestrielles évaluée à 29.300 tonnes de CO2 (tCO2) lièe à la modification des choix des consommateurs, le bonus-malus est "globalement négatif" à court terme. Il s'agit là "d'un résultat solide quelles que soient les hypothèses et qui reste vrai en particulier lorsque l'on ne tient pas compte de l'effet rebond", souligne l'étude qui précise que le bonus-malus a entraîné finalement une hausse de 50.700 tCO2 par trimestre.
Tout d'abord, les ventes totales de véhicules ont "significativement bénéficié" de la mesure. Avec des émissions évaluées à 1,5 tCO2 par tonne de véhicule neuf, l'Insee évalue à 63.300 tonnes les émissions de CO2 engendrées par la construction des véhicules neufs. Sans cet effet, le bonus-malus aurait eu un impact positif sur les émissions de CO2, insistent les chercheurs.
Ensuite, l'effet rebond "réduit en partie le gain associé à la modification du choix des consommateurs en faveur de véhicules moins émetteurs". Cet effet est à l'origine d'une hausse de 6.200 tCO2 par trimestre.
Enfin, l'étude évalue à 10.400 tCO2 les émissions supplémentaires associées au changement des habitudes de déplacement des Français.
Confirmation des effets négatifs à long terme
A long terme, l'Insee a cherché à évaluer l'impact de la politique en considérant le renouvellement total du parc automobile français. En se basant sur deux modèles économiques, l'un tenant compte du marché des véhicules d'occasion et l'autre le laissant de côté, les chercheurs concluent que "les deux scénarios conduisent à un effet négatif important [qui] encore une fois est principalement lié au fait que le bonus augmente le taux d'équipement automobile et l'usage des voitures". Là aussi, "le résultat est solide", indique le document, précisant qu'il reste valide sans tenir compte de l'effet rebond et même en considérant des réductions importantes des émissions moyennes des véhicules neufs vendus.
A long terme, la hausse des émissions trimestrielles serait de l'ordre de 916.000 tCO2. Cette hausse est constatée malgré une réduction de 846.000 tCO2 liée à la modification des choix des consommateurs et une baisse de 496.000 tCO2 du fait de l'accélération du renouvellement du parc automobile. Ce sont, l'effet rebond (505.100 tCO2), le changement des habitudes de déplacement des Français (1.691.000 tCO2) et la construction des véhicules neufs (69.900 tCO2) qui font basculer en négatif le bilan trimestriel global.