Quelles perspectives pour le bio aujourd'hui ? Difficile de le dire tant ce marché de plus de 13 milliards d'euros de chiffre d'affaires, pour quelque 53 000 exploitants (12 % du total), semble traversé de signaux contradictoires. En 2020 (les chiffres consolidés de 2021 ne seront connus qu'en juin prochain), son chiffre d'affaires avait bondi de 10,4 % par rapport à 2019. En cinq ans, celui-ci a ainsi été multiplié par deux.
Désormais, un ralentissement de la demande serait à craindre, mais pas de manière uniforme. « Les ventes en grande distribution ont diminué, mais c'est le cas pour l'alimentation en général, et les chiffres pour la vente directe ou au marché semblent augmenter, analyse Laure Verdeau, directrice de l'Agence Bio. De même, certaines enseignes de la grande distribution réduisent le nombre de leurs références, mais d'autres maintiennent leurs approvisionnements en se basant sur leur chiffre d‘affaires pour le bio, en augmentation de 14 % par rapport à 2019. »
Hausses ou baisses : tout dépend des produits
Cette hétérogénéité touche aussi les produits, avec des consommations de lait, d'œufs, de fruits et de légumes en baisse, mais des chiffres à la hausse pour l'épicerie et les produits transformés, comme la bière ou les boissons, dont les filières achèvent seulement leur organisation. Quant aux petits pots pour bébés, ils cartonnent depuis longtemps… « On entend un peu tout et son contraire. Beaucoup de chiffres qui alertent l'opinion sont par ailleurs sujets à une surinterprétation, mieux vaut garder la tête froide », tempère Philippe Camburet, président de la Fédération nationale d'agriculture biologique (Fnab).
Ce fléchissement probable de la consommation serait-il à mettre sur le compte d'arbitrages financiers dus à la hausse du coût de la vie ? Le dernier baromètre de l'Agence Bio semble le démentir. Selon cette étude, à paraître bientôt, seuls 11 % des Français souhaiteraient restreindre leur consommation de bio à l'avenir, quand 12 % désireraient l'augmenter et 77 % la maintenir. Si le prix reste un frein majeur (70 % des sondés), l'enquête souligne que les consommateurs seraient un peu moins nombreux à renoncer au bio pour des raisons budgétaires (– 3 %), y compris chez les plus modestes.
Des informations qui brouillent les pistes
Réclamée avec force par les syndicats et l'Agence Bio, cette initiative devrait déboucher sur le lancement d'une grande campagne collective, le 22 mai prochain. Une première. « Aujourd'hui, les informations qui figurent sur les emballages ou qui transitent via les médias ne permettent pas au consommateur de comprendre les modes de production spécifiques du bio, ses critères, les intrants utilisés ou la différence avec un produit revendiquant zéro résidu de pesticides. Nous allons pouvoir leur apporter ces précisons objectives », se félicite Philippe Camburet.
Des pistes pour stimuler la demande
Cet effort de pédagogie, presque de démocratie pour Laure Verdeau, est attendu par les consommateurs : selon le baromètre de l'Agence Bio, seul un Français sur deux s'estimerait suffisamment informé sur les garanties apportées par le label AB, notamment sur la réglementation appliquée en agriculture biologique et sur le contrôle des produits. En rappelant leurs fondamentaux, les agriculteurs espèrent mieux faire connaitre leur démarche et relancer la consommation.
La multiplication des projets alimentaires territoriaux, 330 à ce jour, pourraient également les y aider. Soutenus à hauteur de 80 millions d'euros par le Plan de relance et le Programme national pour l'alimentation, ces initiatives sont favorables au bio, notamment pour approvisionner la restauration collective. En rapprochant l'offre de la demande, avec l'aide de la Fnab notamment, et en structurant des filières dans les territoires, ils offrent aussi, théoriquement, un cadre sécurisé aux exploitants. Ce n'est, en revanche, pas toujours le cas d'autres filières de collecte, de transformation et de vente restées ancrées dans le modèle conventionnel, qui exercent une forte pression sur les producteurs en termes de prix.
La guerre en Ukraine rebat les cartes
En 2020, le nombre des fermes engagées en bio étaient, par ailleurs, en croissance de 13 % par rapport à 2019. Elles représentaient 10 % des surfaces cultivées. Encouragée par la stratégie Farm to Fork de l'Union européenne, les nouvelles aides de la PAC et le volet « transition agricole » du Plan de relance français, cette dynamique se poursuivra-t-elle ? Il faudrait pour cela que la pression sur les prix cesse, estime Philippe Camburet. « Les producteurs engagés n'ont pas toujours la possibilité de faire jouer la concurrence et certains se retrouvent pieds et poings liés. Cela pourrait remettre en question la viabilité de leur activité. »
La guerre en Ukraine, déclenchée par la Russie, rebat indéniablement les cartes. Mais dans quelle direction ? Les inquiétudes liées à la flambée des prix des engrais de synthèse et des aliments pour les animaux, ainsi qu'une moindre disponibilité des intrants, valident la pertinence du modèle bio. La hausse attendue des prix du conventionnel pourrait notamment rendre ceux du bio plus abordables. « C'est l'occasion de rappeler que le bio consommé en France est à 80 % d'origine nationale, hors produits tropicaux. Cette année, nous avons atteint l'autosuffisance en blé, en œufs et en lait et notre fumier est local. Nous ne dépendons pas des importations », souligne Laure Verdeau.
Pour progresser en termes de rentabilité, le secteur ne manque d'ailleurs pas de pistes d'expérimentation : meilleure sélection des variétés, amélioration des rotations, synergie entre cultures, gestion de l'eau… Afin d'objectiver leurs performances et faire avancer ces recherches, l'Agence Bio et l'Institut national de la recherche agronomique (Inrae) ont signé une convention, le 1er mars dernier, sur le partage de données. Mais cela n'empêche pas le secteur conventionnel de réclamer avec force un allègement des contraintes environnementales, et notamment l'arrêt des mises en jachère. « Avec un discours alarmiste sur nos capacités d'autonomie alimentaire, des voix se font entendre pour enterrer la stratégie Farm to Fork, exploiter le moindre coin de terres arables et réautoriser un maximum d'intrants et de pesticides », regrette Philippe Camburet.