À l'occasion de cette rencontre organisée avec des représentants des filières bois (Fibois France), chanvre (InterChanvre) et paille (RFCP), Daniel Salmon, sénateur d'Ille-et-Vilaine (Europe Écologie-Les Verts) s'est dit convaincu que le hors-site était l'un des outils pour massifier une construction bio-sourcée qui, « jusqu'à présent, s'est développée dans des niches : dans le pavillonnaire, avec des gens qui avaient les moyens ». « Mais aujourd'hui, a-t-il déclaré, il faut déplacer le curseur, cranter beaucoup plus haut, et aller vers une massification du bio-sourcé. »
Chanvre : la success story de Wall'up
Le défi peut-il être relevé ? Affirmatif, répondent certains acteurs. C'est le cas de l'entreprise Wall'up Préfa pour la filière chanvre. Installée près du gisement fourni par Planète Chanvre, à Aulnoy, en Seine-et-Marne, la PME produit un béton à base de chanvre et de chaux intégré comme isolant à une ossature bois préfabriquée en 2D.
« Nous travaillons sur des logements collectifs et individuels, avec l'idée de sortir un peu de l'individuel pour massifier l'utilisation du produit (ERP, tertiaire, logistique) », ajoute Arthur Cordelier, son directeur général, qui s'est associé à plusieurs entreprises de charpente.
Pour lui, le hors-site ouvre la voie à une utilisation plus massive du béton de chanvre, puisqu'il permet de lever ce qui constituait le principal obstacle à cette industrialisation : la nécessité de stopper les chantiers pour le séchage in situ, la projection de ce béton de chanvre, à raison de 100 kg/m3, nécessitant un encadrement très précis sur site (température, temps de séchage, etc.). « Grâce au hors-site, poursuit Arthur Cordelier, on peut avoir une production en continu de béton de chanvre, réglée au gramme près, en s'affranchissant des incidences liées aux intempéries, à la gestion des stocks, etc. (…) Pour répondre avec du béton de chanvre sur des marchés comme le logement, très tendus, où il faut aller vite, on doit utiliser la technique du hors-site. »
Selon le patron de Wall'up, ce mode constructif permet aussi « une montée en compétences pragmatique sur le matériau », « une montée en qualité » obtenue grâce à des prélèvements et des suivis réalisés avec un système PAQ (plan d'assurance qualité), très complexe à mettre en place sur chantier, voire impossible.
Enfin, conclut-il, « le hors-site permet d'aller chercher des gens fatigués d'aller à Paris, mais qui ne sont ni charpentiers, ni maçons. (…) Il ouvre un vrai gisement de main-d'œuvre sur lequel il est plus aisé de statuer que quand on va chercher des compagnons pour intervenir in situ ».
Paille : la France championne du monde
Même son de cloche chez Mael Steck, président de Bâti-nature, une Scop de la Drôme intervenant depuis 2006 dans la construction à ossatures bois isolées en bottes de paille. « Grâce au hors-site, dit-il, on met les gars à l'abri – des intempéries, de la chaleur, etc. Ils ont une vie meilleure, ils vivent plus longtemps, c'est déjà intéressant ! Les membres de la coopérative sont attachés à la montée en compétences : ils veulent des gens polyvalents, aimant leur travail, ayant choisi leur métier, et montant en formation. Et qui, in fine, font un travail plus épanouissant, ce qui se reflète dans un turnover moindre, des difficultés moindres pour recruter. »
Au-delà de cette qualité de vie, le hors-site garantit une qualité de mise en œuvre du produit : il limite le temps d'exposition aux intempéries de la paille qui, à l'instar des autres matériaux bio-sourcés, s'accommode très mal de la réhumidification. Avec 1 000 constructions nouvelles chaque année, la France est « championne du monde de la construction paille, en grande partie grâce à sa capacité à travailler hors-site, à être à la remorque de la construction bois qui préfabrique depuis longtemps », souligne encore Mael Steck.
Économique, recyclable, durable, la paille est disponible sur tout le territoire français – « nous avons démontré qu'il n'y avait pas de concurrence d'usage avec l'agriculture » –, et « c'est l'isolant avec la meilleure capacité de stockage de carbone à ce jour », affirme le président de Bâti-nature. Quant à sa mise en œuvre en bottes dans les panneaux à ossature bois, « c'est une technique assurable et accessible à tous les charpentiers », en neuf et en rénovation, assure-t-il, ajoutant que des « experts paille peuvent accompagner la montée en compétences de tous les professionnels : charpentiers, maîtres d'œuvre et d'ouvrage, assureurs, bureaux de contrôle, etc. ».
Côté normes, la botte de paille comme isolant « répond aux exigences de la RE2020 et sans doute à celles des prochaines RE ». « Nous nous appuyons sur les
Un bémol toutefois, le président de la Scop note que « la botte de paille n'est pas complètement adaptée au monde industriel ». Néanmoins, des acteurs s'installent, avec de la botte à façons plus adaptée aux contraintes des charpentiers : panneaux de différents formats ; paille hachée à souffler directement dans les ossatures, etc.
Encore des verrous à lever
« Aujourd'hui, identifie Mael Steck, le principal frein pour faire de la construction paille au kilomètre, c'est la concurrence avec les produits très industrialisés. À résultat égal, on paiera beaucoup plus cher un matériau bio-sourcé très transformé par les humains qu'un matériau conventionnel très transformé industriellement. » Pour massifier son activité, la filière dit surtout manquer d'argent. Et de visibilité.
Ce besoin de visibilité est aussi pointé du doigt par la filière bois : Sylvain Fourel, président fondateur de Selvea (modules 3D), réclame une simplification et une stabilisation de la réglementation : « Nos clients maîtres d'ouvrage rencontrent vraiment beaucoup de difficultés à faire aboutir leurs projets, ajoute-t-il. Ça participe d'ailleurs à l'effet de niche, car les projets reportés six mois ou un an créent des perturbations très importantes dans les plannings des entreprises du hors-site, et des problèmes de rentabilité. »
Volonté politique
Pour sortir du marché de niche, les acteurs du bio-sourcé comptent beaucoup sur la force de la prescription. « C'est la commande qui permet de sécuriser les investissements, affirme Arthur Cordelier. Je pense que l'État et tous les acteurs qui le représentent ont un devoir de prescription des matériaux bio-sourcés – tout en restant dans les fourches habituelles de la consultation publique. » Fibois France a d'ailleurs montré la voie : « Nous avons développé l'outil des Pactes bois-biosourcés, rappelle Paul Jarquin, son président. À l'échelle régionale, nous engageons les acteurs publics, parapublics et privés dans des volumes de construction bois et bio-sourcés avec une dimension de filière locale (bois de France ou local). Il faudrait que le hors-site converge vers ce type d'initiatives (…). On pourrait ainsi atteindre des objectifs collectifs, dans la sphère publique et privée, au service de la décarbonation. »