Face à l'enjeu vital que représente l'alimentation en eau potable, la directive cadre sur l'eau (DCE) encourage les États membres de l'Union européenne à anticiper les risques de dégradation qualitative et quantitative des masses d'eau. Cela passe notamment par la délimitation de zones de sauvegarde (ZS). Objectif ? Identifier des portions de nappes que l'on va particulièrement protéger pour garantir des volumes et une qualité suffisante dans le futur.
Depuis plusieurs années, les gestionnaires de masses d'eau tentent de mettre en place ces zones et surtout d'y appliquer des contraintes, avec plus ou moins de succès. Les retours d'expérience permettent aujourd'hui d'en conclure des bonnes pratiques méthodologiques et surtout leur prise en compte par les acteurs du territoire. Illustration avec le syndicat de la nappe de la Crau, le Symcrau.
Une nappe intimement liée à l'histoire de son territoire
Depuis le XVIe siècle, la plaine de la Crau est irriguée par un réseau de canaux qui amènent l'eau en provenance de la Durance. Au fil des décennies, l'eau d'irrigation a permis au territoire de se développer mais elle s'est surtout infiltrée dans le sol, constituant ainsi une nappe phréatique. Cette origine si particulière lie intimement la nappe aux activités économiques et agricoles installées sur son aire d'alimentation : filière de fourrage AOP, arboriculture, industries lourdes, et les 300 000 habitants qu'elle dessert en eau potable.
La création de réserve en eau stratégique pour le futur n'a donc pas été un exercice facile, et n'est toujours pas totalement aboutie.
Concertation élargie et outils innovants
Les périmètres de protection des captages sont généralement définis afin de prévenir toute pollution des eaux susceptibles de rejoindre un captage en moins de 50 jours. Si cet outil du code sanitaire a vocation à prévenir les situations de crise, les ZS permettent une protection sur le long terme en garantissant durablement la conservation d'une ressource de qualité pour l'eau potable. « Pour la délimitation des zones, on a recherché les secteurs où la ressource est suffisante et de qualité, les captages actuels, les sources de pollutions potentielles. Puis, avec les acteurs du territoire, nous avons réalisé des projections de développement des activités pour identifier et localiser les besoins à un horizon de 30 ans », explique Antoine Bailleux du pôle technique au Symcrau.
Cette concertation élargie s'est organisée sous forme d'ateliers pour superposer les cartes. « On s'est rendu compte que là où il y avait de l'eau,il y avait aussi des activités et des risques de pollution, réduisant d'autant les secteurs favorables », fait-il remarquer.
À ce premier exercice s'est ajouté l'utilisation d'un modèle mathématique d'écoulement des eaux avec des cartes de probabilité de capture de pollution. « Ce sont des outils peu utilisés, innovants, qui donnent des résultats précis, explique Antoine Bailleux. Et c'est un calcul scientifique. Cela a conforté la délimitation des zones. Il n'était alors pas possible de les remettre en question. »
Au final, les zones de sauvegarde couvrent 20 % de l'aire d'alimentation. L'utilisation des modélisations a permis de dépasser l'écueil du « dire d'expert » en permettant à tous les acteurs de visualiser les risques et de comprendre la délimitation choisie. Un premier pas vers l'acceptation puis l'appropriation.
Des préconisations à la bonne échelle
” Charlotte Alcazar, symcrau
Une traduction juridique solide pour les collectivités
« Les zones de sauvegarde viennent du code de l'environnement, leur traduction dans le code de l'urbanisme est difficile, avec un risque de contentieux élevé si la transposition n'est pas conduite rigoureusement », selon M.Baillieux. Le syndicat a donc travaillé avec un cabinet d'urbanisme et un avocat pour établir des propositions de prescriptions juridiquement fiables. Par exemple : prévoir le traitement des eaux pluviales sur les surfaces ou les voiries, maintenir des espaces non urbanisés, conserver les bandes enherbées autour des canaux d'irrigation, ou encore densifier les territoires en dehors de la zone de sauvegarde. « Par exemple, il n'est pas possible d'inscrire dans un PLU une quelconque obligation d'agriculture bio, même en zone de sauvegarde », détaille Antoine Baillieux.
Des arbitrages encore attendus
Si la concertation et une approche pragmatique favorisent la conciliation entre préservation de la ressource et activités économiques, certaines activités demeurent proscrites en zone de sauvegarde. C'est le cas des canalisations de matières dangereuses enterrées, pour lesquelles le risque zéro n'existe pas et dont les accidents peuvent avoir des conséquences sur le très long terme. La plaine de Crau est particulièrement soumise à ce risque de par la présence des raffineries du complexe industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer. L'interdiction de nouvelles canalisations préconisée dans les zones de sauvegarde ne fait pas l'unanimité parmi la profession industrielle. « L'État doit trancher dans le cadre de la notification des zones en instruction depuis juillet 2018. Quoi qu'il en soit, la révision du SDAGE en 2021 intégrera d'office la cartographie », indique Charlotte Alcazar.
Cette révision sera l'occasion d'intégrer les zones et de leur donner une existence juridique. Il existe en effet trois voies de formalisation des ZS : une notification du zonage aux collectivités par le préfet (le Symcrau l'attend depuis deux ans), l'intégration de la zone dans le Schéma directeur d'aménagement des eaux (SDAGE) ou sa déclinaison dans un futur schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) de la nappe.
Les paiements pour services environnementaux pour les agriculteurs
En attendant une reconnaissance préfectorale qui tarde à venir, le Symcrau poursuit la déclinaison des prescriptions, notamment dans le monde agricole. « Le seul levier possible est l'incitation financière, explique Charlotte Alcazar. Nous devons créer les conditions économiques à la production que l'on recherche. Ici, nous avons intérêt à ce que la filière fourragère soit en bonne santé puisqu'elle participe à la recharge de la nappe à hauteur de 70 % et contribue au maintien d'une bonne qualité des eaux. »
Le Symcrau a été retenu par l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée pour tester les paiements pour services environnementaux (PSE) visant à rémunérer les agriculteurs engagés pour l'eau et/ou la biodiversité. Il va démarrer l'étude qui définira les indicateurs à retenir pour les exploitations. « L'enveloppe de l'agence de l'eau n'étant pas très élevée, nous allons probablement devoir prioriser les PSE dans des secteurs à enjeux, parmi lesquels les zones de sauvegarde évidemment. »