Recul sous la pression des lobbies ou mesure utile d'amélioration des procédures ? Mercredi 7 février, le Conseil et le Parlement européens se sont mis d'accord pour repousser de deux ans, jusqu'en juin 2026 au lieu de juin 2024, l'adoption des normes sectorielles prévues par la directive sur la durabilité des entreprises, la très attendue CSRD (Corporate Sustainability Reporting directive), tout juste entrée en vigueur le 1er janvier dernier. Les conséquences de leurs activités sur la planète et sur les hommes ainsi que les modes de calcul de ces impacts différant selon les métiers, le texte initial prévoyait de compléter les normes et les standards transversaux, publiés en juillet 2023, par un volet spécifique pour une quarantaine de secteurs : agriculture, transport routier, énergie, textile…
Ce volet spécial devait notamment détailler les données particulières à transmettre par les entreprises concernées et le format à adopter afin de faciliter leur comparabilité. Une mesure pertinente, selon l'avocate Véronique Delaittre, associée du cabinet Linklaters. « Le reporting ne peut pas être le même pour une entreprise du secteur de la pêche, du transport routier ou de la banque. D'autant plus que pour certaines, dans l'énergie ou les mines par exemple, les engagements en matière de transition sont sensibles. Les investisseurs ont besoin d'accéder à ces informations dans le détail », explique-t-elle.
Alléger les contraintes des entreprises
Mais depuis la publication de la directive, en décembre 2022, les commissaires se sont avisés du volume des charges administratives, parfois « disproportionnées », pesant à leur avis sur les dirigeants. « Les entreprises ont dû faire face à trop de bureaucratie pendant les années de crise, du Covid à l'inflation », insiste l'eurodéputé allemand Axel Voss (groupe PPE). Dans une communication sur la compétitivité à long terme de l'Union européenne, les commissaires se sont ainsi engagés à « redoubler d'efforts pour rationaliser et simplifier les exigences en matière d'information, dans le but ultime de réduire ces charges de 25 %, sans compromettre les objectifs stratégiques correspondants ».
Une forte pression sur la Commission
Selon plusieurs observateurs, l'Efrag semblait pourtant prête à tenir les échéances initiales et ces normes spécifiques étaient attendues par certains entrepreneurs, comme ceux d'Impact France. Rien ne garantit par ailleurs qu'un report permettra à l'Efrag d'améliorer la qualité de ses grilles. En vue des prochaines élections au Parlement, dans un contexte de tension croissante partout en Europe, notamment en Allemagne, une pression lobbyiste n'est donc pas à écarter : de la part d'une partie des agriculteurs et de certains gros industriels (Schneider Electric, Air liquide, Siemens…), par exemple, ou même en France du président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), François Asselin, qui critique vertement la mise en place de la directive.
En guise de garde-fou, les eurodéputés ont cependant insisté pour que l'Efrag publie en avance, « dès qu'elles seront prêtes », huit premières normes sectorielles. Si l'on en croit le calendrier communiqué par cet organisme, elles devraient prioritairement concerner les secteurs à fort impact, comme le pétrole, le gaz ou les mines de charbon, mais également la banque et les assurances, en raison de leur rôle dans le domaine de la finance durable. Le Parlement a également réclamé une amélioration de la transparence et de la flexibilité du processus normatif. Il demande ainsi à la Commission de l'informer au moins une fois par an de l'état d'avancement de l'élaboration des normes d'information et sur la planification, la hiérarchisation et le calendrier connexes adoptés par l'Efrag.
Un cadre qui se développe
La publication des normes sectorielles plus tôt aurait aidé les investisseurs et les sociétés concernées, convient Véronique Delaittre. « Mais deux ans, ce n'est finalement pas grand-chose. Le décalage de calendrier permettra déjà de regarder comment fonctionnent les premiers reportings extra-financiers dès 2025. Est-ce que l'information sera suffisante ? Est-ce qu'elle permettra de comparer correctement les entreprises, d'adapter le financement, éventuellement d'éviter de financer des entreprises qui ne seraient pas suffisamment avancées dans leur transition énergétique ? »
En parallèle, d'autres réglementations peuvent faciliter l'exercice de la finance durable, comme la publication, en novembre dernier, du règlement sur les obligations vertes européennes. Le sujet gagne de toute façon en audience… « Des groupes de conseils et des spécialistes de l'ESG se sont également développés au sein des banques ou des sociétés concernées. Ils embauchent et grossissent à vue d'œil », constate Véronique Delaittre. Un report des normes destinées aux entreprises tiers exerçant des activités dans l'Union est aussi prévu, mais avec un impact moindre puisque celles-ci n'étaient en réalité tenues de réaliser leur reporting qu'en 2028. Cet accord provisoire conclu entre le Parlement et le Conseil européens doit maintenant être approuvé et adopté formellement par les deux institutions.