Chargé de campagne Énergie Climat à Greenpeace France
Actu-environnement : Quels sont les principaux leviers de votre scénario de transition énergétique ?
Cyrille Cormier : L'un des principaux leviers, c'est une décision politique. La France s'est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 80 à 95% en 2050 à travers les objectifs de l'Union européenne. François Hollande s'est positionné en faveur d'une réduction du nucléaire dans le mix énergétique. Nous demandons donc un calendrier de fermeture des réacteurs ainsi que d'aller plus loin et de fermer l'ensemble de ces derniers.
Pour compenser la fermeture des réacteurs, un plan de développement des énergies renouvelables électriques doit être décidé : rétablissement du système de tarifs d'achats et soutien aux filières renouvelables électriques solaire ou éolienne.
Du côté de la demande, il faut que la France s'engage pleinement dans des objectifs contraignants en 2020 ou 2030. En particulier, nous demandons une rénovation thermique ambitieuse avec environ 6 millions de logements rénovés à l'horizon 2020, à des niveaux très faibles de consommation énergétique correspondant au label BBC. Ce sont des décisions politiques qui doivent être prises maintenant pour engager la France dans la transition énergétique.
AE : Sur quelles tendances de consommation vous basez-vous ? Quels sont les autres secteurs concernés?
CC : Le bâtiment reste l'une des mesures phares. Dans les transports, l'urgent est d'opérer un transfert vers les modes de transport les plus efficaces : développer des systèmes ferrés pour le transport de personnes mais aussi de marchandises. Nous espérons le voir s'étoffer d'ici 2020.
Nous estimons que nous pouvons baisser de 15% la consommation dans les transports au travers du transport modal mais également des mesures sur l'efficacité notamment des moteurs. Il faudra optimiser le poids des véhicules, l'aérodynamisme, etc.
Notre scénario prévoit le développement de l'hybridation des véhicules de transport routier, ce qui permettrait d'augmenter leur efficacité et réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Dans l'industrie, nous estimons que la baisse serait plus faible que dans les autres secteurs. Nous établissons les gains potentiels essentiellement sur la récupération de chaleur dans les différents processus industriels.
AE : Quelles sont les pistes pour sécuriser l'approvisionnement : RTE alertait en septembre dernier sur un risque de tension électrique en 2016 ?
CC : Cette question est au cœur de la partie transition électrique de notre scénario. La pointe de consommation saisonnière a augmenté de 40% en 10 ans : elle est arrivée à 102 gigawatts, en 2012. Ce niveau est incroyablement élevé quand nous savons qu'en Allemagne la consommation est à 86 gigawatts. C'est le chauffage électrique qui génère cet appel de puissance.
Dans le cadre du plan de rénovation des logements, nous appelons à la dépose des chauffages électriques, de type convecteur, rayonnant, accumulateur, etc. pour les remplacer par des moyens de production de chaleur renouvelables.
Cette dépose permettrait d'abaisser la pointe de consommation pour revenir à des niveaux du début des années 2000 : 73 gigawatts de pointe de consommation à l'horizon 2035.
Par ailleurs, le développement des renouvelables dans le système électrique nécessitera le développement des interconnexions avec les pays voisins. L'Allemagne, le Danemark se sont déjà engagés sur la voie de la transition électrique et fournissent déjà sur le marché européen de forts volumes d'électricité renouvelable. Il faudra également développer le stockage. Notre scénario propose un développement des stations de transfert d'énergie par pompage et, à partir de 2030, l'essor du stockage par gaz de synthèse : transformer de l'électricité par hydrolyse en hydrogène ou par méthanation. Ce méthane pourra ensuite être réutilisé soit pour produire de l'électricité, soit pour produire de la chaleur, en l'injectant dans le réseau de gaz existant (1) .
AE : Quel coût pour ces mesures et plus globalement de votre scénario ?
Nous n'avons pas évalué le coût global mais un certain nombre d'aspects de notre transition. Dans notre scénario, nous évaluons à 286 milliards d'euros les investissements nécessaires à la transition de moyens de production électrique pour 2013-2035, qui correspond à la période de sortie du nucléaire.
Pour les investissements, pour la production de chaleur, nous établissons la facture à 165 milliards d'euros.
Sur la période 2013-2050, nous pourrions économiser jusqu'à 130 milliards d'euros grâce au retrait des matériaux fossiles et fissibles : nous n'importerions plus d'uranium, de gaz, de charbon pour produire de l'électricité.
Au global, le scénario de transition énergétique Greenpeace nécessite un volume global sur 2013-2050 de 655 milliards, auxquels il faut retirer 130 milliards d'économie.
Quelles pistes avez-vous identifiées pour financer cette transition ?
C'est le travail du législateur et du gouvernement. Dans notre scénario, nous avons voulu montrer que ces investissements seront nécessaires, que nous changions de production d'électricité ou de chaleur, ou que nous restions dans le système actuel. Dans les deux cas, les volumes d'investissements s'avèrent équivalents.
Comment s'inscrira votre scénario dans le débat sur la transition énergétique ?
Nous entendons verser au débat ces éléments : nous avons soumis ce scénario au groupe des experts du débat sur la transition. Il est nécessaire que les autres parties fournissent également des éléments d'hypothèse, de méthodologie, qui nous permettront de comparer les différents choix et chiffres.