"Aujourd'hui, la croissance rapide de la demande d'électricité dans certaines régions, couplée à des objectifs pour améliorer la sécurité énergétique et éviter les émissions de gaz à effet de serre et d'autres polluants de l'air, laisse penser que l'énergie nucléaire continuera à jouer un rôle important dans les systèmes énergétiques futurs", analyse l'Agence internationale de l'énergie (AIE). Dans son nouveau rapport sur les perspectives de l'énergie dans le monde (1) (WEO 2014), publié le 12 novembre, l'agence dessine la place que tiendra l'atome dans les mix énergétiques en 2040. A cette échéance, la consommation d'énergie aura augmenté de près de 40%.
Un parc nucléaire en forte évolution d'ici 2040
Alors qu'en 2013, 392 gigawatts (GW) de capacité nucléaire étaient installés dans le monde, représentant 11% de la production électrique mondiale, celle-ci pourrait atteindre 620 GW en 2040, pour représenter 12% de la production mondiale. Aujourd'hui, la grande majorité de la capacité installée se situe dans les pays de l'OCDE, mais à l'avenir, la donne devrait changer, estime l'AIE.
Selon l'AIE, la croissance du nucléaire "se concentre sur les marchés dont le prix de l'approvisionnement en électricité est régulé, sur ceux où les opérateurs bénéficient d'un soutien de l'Etat ou bien sur ceux dont les gouvernements prennent des mesures pour faciliter des investissements privés".
L'avantage de l'atome pour ces pays : diversifier les technologies de production de l'électricité, décarboner le parc de production et limiter la dépendance énergétique. "Pour les pays importateurs d'énergie, le recours au nucléaire peut leur permettre de devenir moins dépendants des approvisionnements étrangers et moins vulnérables aux fluctuations des prix des combustibles sur les marchés internationaux", note l'AIE. Si certains pointent du doigt la dépendance à l'uranium, l'AIE estime que celle-ci est moindre que pour les autres combustibles. La France, par exemple, importe 8.000 tonnes d'uranium par an contre 80 millions de tonnes de pétrole et dispose de stocks pour plusieurs mois ou années.
Concernant les objectifs climatiques internationaux, "le nucléaire est l'une des rares options disponibles à grande échelle qui permette de réduire les émissions de dioxyde de carbone tout en fournissant ou en remplaçant d'autres formes de production de base", analyse l'AIE. Selon ses estimations, depuis 1971, l'atome aurait permis d'éviter le rejet de 56 gigatonnes de CO2, soit l'équivalent de deux années d'émissions mondiales aux niveaux actuels. Pour l'agence, en 2040, le nucléaire permettra d'éviter "près de 50% des émissions annuelles en Corée du Sud, 12% de celles prévues au Japon, 10% aux Etats-Unis, 9% en Union européenne et 8% en Chine".
Parcs nucléaires existants : des choix cruciaux
L'Union européenne prend le chemin inverse de ces pays, puisque la part de l'atome devrait y décroître d'ici 2040, alors qu'il constitue aujourd'hui, après le charbon, la principale source de production d'électricité. "Des 434 réacteurs opérationnels à la fin 2013, 200 seront mis à l'arrêt d'ici à 2040, principalement en Europe, aux Etats-Unis, en Russie et au Japon, indique l'AIE, ajoutant : Les difficultés à compenser le déficit de production consécutif sont particulièrement aigües en Europe".
Certains pays européens, à l'instar de la France, font face à des choix cruciaux : arrêter, prolonger les réacteurs les plus anciens ou construire de nouvelles capacités. Selon l'AIE, il serait plus pertinent économiquement et politiquement (acceptation du public…) d'améliorer le taux de disponibilité du parc et de prolonger la durée de vie des centrales, plutôt que de construire de nouveaux réacteurs. Mais quel que soit le choix, celui-ci doit être anticipé et lisible.
Quant aux pays faisant le choix de fermer des centrales, "des incertitudes de taille subsistent concernant ces coûts, en raison de l'expérience encore relativement limitée en matière de démantèlement des réacteurs et de réhabilitation des sites pour d'autres utilisations". Le démantèlement des centrales mises hors service avant 2040 pourrait coûter 100 milliards de dollars. "Les régulateurs et les opérateurs doivent continuer de s'assurer que les fonds adéquats sont provisionnés en vue de ces futures dépenses", souligne l'AIE.
Enfin, elle estime que les préoccupations du public, notamment sur la sûreté du nucléaire, ne doivent pas être négligées. Ni la question des déchets : en 2040, "le total cumulé de combustible nucléaire usé double, pour atteindre plus de 700.000 tonnes sur la période considérée". Pourtant, "à ce jour, aucun pays n'a ouvert de centre de stockage permanent permettant d'isoler les déchets hautement radioactifs à longue durée de vie produits par les réacteurs à usage commercial".