Jour de vote crucial au Parlement européen, ce mercredi 6 juillet. Réunis en plénière, à Strasbourg, les eurodéputés se sont prononcés en faveur de l'inclusion du gaz fossile et du nucléaire dans la taxonomie verte. Ce classement détermine quelles seront les activités considérées comme « durables » et vers lesquelles les investissements seront orientés préférentiellement. Une majorité absolue de 353 députés était requise, mais n'a pas été atteinte pour bloquer le projet d'acte délégué (1) présenté, en février 2022, par la Commission européenne.
Ce texte de compromis propose de classer, sous conditions, le gaz et le nucléaire dans les énergies de transition et donc éligibles à la finance verte. Ce mercredi, 328 parlementaires ont validé cet acte délégué et ont rejeté l'objection formulée contre ce texte. En revanche, 278 eurodéputés se sont opposés au texte de la Commission et 33 se sont abstenus. Ce vote est donc serré car il a manqué seulement 75 voix pour contraindre la Commission à retirer ou modifier sa législation.
Le 14 juin dernier, les eurodéputés des commissions des affaires économiques et de l'environnement avaient d'ailleurs voté contre l'intégration de ces deux filières controversées dans la taxonomie verte. Ils avaient considéré que les normes techniques pour les y inclure « ne respect(aient) pas les critères d'activités durables sur le plan environnemental ». Mais, en plénière, une majorité de députés n'a pas validé cette résolution.
La taxonomie, un sujet politique, une opération de « greenwashing »
Ce vote du Parlement est très marqué par un clivage politique gauche-droite. Car, sans surprise, les députés de gauche et les Verts se sont à nouveau opposés à l'acte délégué et fustigent, sur Twitter, le vote du Parlement. L'eurodéputée française Manon Aubry (France insoumise) dénonce un « vote de la honte » et « un sombre jour pour la planète ». « Notre objection portée avec les délégations Nupes est rejetée. L'alliance Macron-droite-extrême-droite au service des lobbies sauve donc le label vert scandaleux accordé au gaz et au nucléaire », critique la députée.
À l'issue de ce vote, les organisations écologistes (Greenpeace, Réseau Action climat, Amis de la Terre, France Nature Environnement, Sortir du nucléaire, etc.) dénoncent aussi une opération de « greenwashing ». Pour Neil Makaroff, responsable Europe au sein du Réseau Action Climat, « repeindre le gaz fossile et le nucléaire en vert ne rendra pas l'Europe plus indépendante. Cela détournera des milliards d'euros loin de l'accélération des énergies renouvelables et des économies d'énergie pourtant seuls leviers permettant d'assurer la sécurité énergétique des Européens tout en luttant contre la crise climatique ».
Inclure le gaz et le nucléaire « pour poursuivre nos objectifs climatiques »
À l'inverse, les eurodéputés du groupe libéral-centriste Renew Europe (Renaissance) défendent leur vote et saluent « une décision responsable pour poursuivre nos objectifs climatiques et atteindre notre indépendance énergétique ». En validant l'acte délégué, les députés confortent, en effet, la position de la Commission qui estime que le gaz et le nucléaire sont indispensables pour atteindre la neutralité carbone en 2050, mais que ces sources d'énergie peuvent aussi être étiquetées durables sous certaines conditions. Le député Pascal Canfin (Renaissance) rappelle ainsi les garde-fous prévus dans ce texte. « Par exemple, les conditions posées par la taxonomie pour le gaz sont précises : le gaz est possible uniquement pour remplacer du charbon, jusqu'en 2030, sous des seuils d'émissions qui ne sont pas considérés comme dangereux et avec des obligations de transparence renforcées », souligne-t-il. Concernant le nucléaire, « il est clair que cette énergie est à la fois décarbonée et comporte des risques spécifiques. Elle peut donc être utile à la transition sans pouvoir être classée comme "verte" à la différence des énergies renouvelables. C'est exactement le sens de l'acte délégué », affirme M. Canfin.
Le Parti populaire européen (PPE, droite et centre-droit) se réjouit aussi de ce vote. « En plus des énergies renouvelables, des investissements dans l'énergie nucléaire et le gaz (non russe) comme tremplin vers l'hydrogène seront nécessaires dans les années à venir. Il est encourageant de voir qu'une majorité du Parlement européen voit cela et rejette l'opposition à la proposition de taxonomie », se félicite la députée néerlandaise Esther de Lange, membre du PPE. Même son de cloche de la part d'Agnès Evren, députée européenne (PPE) et vice-présidente des Républicains (LR) : « Refuser de reconnaître le nucléaire comme énergie de transition serait faire une croix sur nos objectifs climatiques, soyons réalistes ! Si je comprends les controverses politiques actuelles sur le gaz en raison de la guerre en Ukraine, j'alerte depuis des mois mes collègues européens sur le danger de refuser cet acte délégué. Le nucléaire est un élément essentiel du mix énergétique français, mais également du mix énergétique européen. »
La bataille contre ce texte se mènera devant les tribunaux
Si ni le Parlement ni le Conseil des États membres ne s'opposent à l'acte délégué sur la taxonomie d'ici au 11 juillet 2022, ce texte entrera en vigueur et s'appliquera à partir du 1er janvier 2023. À noter : pour s'y opposer, la majorité qualifiée du Conseil européen doit réunir vingt États membres représentant 65 % de la population européenne. Or, l'Autriche et le Luxembourg, opposés au texte, ont déjà menacé de poursuivre la Commission en justice. « L'avenir de cet acte délégué est désormais entre les mains de la CJUE (Cour de justice de l'Union européenne, ndlr) qui devrait être saisie incessamment par l'Autriche. Souhaitons-lui de la clairvoyance, et de préserver les générations futures », indique la députée Marie Toussaint.
L'ONG Greenpeace envisage aussi des recours judiciaires. « Les industries fossiles et nucléaires ont gagné une bataille aujourd'hui. Nous allons désormais mener le combat devant les tribunaux. Nous y dénoncerons les tractations honteuses menées en coulisses par la Commission européenne et les pays pro-gaz et pro-nucléaires, dont la France, avec le soutien des lobbies russes. Nous ferons tout pour que les tribunaux mettent un terme à ce greenwashing éhonté », déclare Pauline Boyer, chargée de campagne transition énergétique pour Greenpeace France.