Le gouvernement va-t-il, par l'absence de décision claire sur le nucléaire, engager la France dans une prolongation de son parc atomique ? C'est ce que redoutent les associations de défense de l'environnement, à la veille de l'ouverture du débat public sur la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Cette programmation doit fixer le cap de la transition énergétique pour la décennie à venir : baisse des consommations, développement des énergies renouvelables, évolution du parc nucléaire … Or, le dossier présenté par le gouvernement pour servir de base au débat interroge sur la réelle volonté de réduire la part du nucléaire dans le mix électrique.
En effet, seuls deux scénarios sont soumis au débat, sur les quatre qu'avait établis le gestionnaire de réseau de l'électricité RTE. Tous deux misent sur "des exportations d'électricité faramineuses" pour écouler le surplus de production nucléaire, souligne Anne Bringault, coordinatrice transition énergétique du Réseau action climat (RAC). Les scénarios sur les trajectoires de consommation d'énergie sont quant à eux totalement absents du dossier. Pourtant, pour la première fois, "le gestionnaire de réseau projette une stabilisation, voire une baisse des consommations électriques", souligne Jean-David Abel, vice-président de France nature environnement (FNE). Tous les éléments ne sont donc pas mis en discussion.
Des annonces qui jettent le trouble
Il y a quelques mois, le ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot officialisait le recul de l'objectif de réduction de la part de nucléaire à 50%, prévu dans la loi sur la transition énergétique en 2025. La raison ? Le gouvernement souhaite donner priorité à la fermeture des centrales thermiques au charbon, pour décarboner le parc de production électrique français. Parallèlement, EDF a clairement réitéré, début 2018, son intention de prolonger la durée d'exploitation de tous ses réacteurs à 50 ans et de ne pas fermer de réacteur nucléaire avant 2029, en dehors des deux de Fessenheim (Haut-Rhin). L'électricien envisage même de construire un deuxième EPR en France, à Gravelines.
Autant d'éléments qui suscitent l'inquiétude des associations. "Qui décide de la politique énergétique de la France ? interroge Alix Mazounie, chargée de campagne Climat énergie de Greenpeace. On est face à un exploitant qui, normalement, est soumis aux objectifs de la PPE. Mais quand on voit les annonces…". Autre source d'inquiétude : "Un premier jet de la PPE devrait être présenté par le gouvernement avant la fin du débat public", prévue en juin. Le gouvernement veut aller vite. Il pourrait également présenter un projet de loi modifiant les objectifs inscrits dans la loi de transition énergétique, adoptés lors du précédent quinquennat.
Un dossier qui écarte certaines options
Quant au dossier présenté par le gouvernement, il écarte de fait une ambition forte de réduction de la part du nucléaire. Les deux scénarios mis au débat portent sur la fermeture de neuf ou seize réacteurs à l'horizon 2035. Les associations craignent que le gouvernement maintienne un statu quo, sans calendrier clair sur la fermeture de réacteurs, qui, de fait, engagerait la France dans la poursuite du nucléaire pour plusieurs décennies. "Tant qu'on n'aura pas fermé de réacteurs nucléaires, il n'y aura pas de place réelle pour les énergies renouvelables", souligne Alix Mazounie.
Les questions de sûreté liées à la poursuite du nucléaire semblent éludées, tout comme celle du coût. "Cela laisse en exploitation un grand nombre de réacteurs ayant dépassé les cinquante ans de fonctionnement. Or, le parc nucléaire est face à un vieillissement des infrastructures, une dégradation importante des pièces qui ne sont pas réparées et remplacées, et pose la question de la maintenance qui est mal faite ou pas faite", souligne Charlotte Mijeon, porte-parole du Réseau sortir du nucléaire. "29 réacteurs risquent de perdre leur source froide du fait de la corrosion de pièces qui ne sont pas remplacées. Et on découvre régulièrement de nouvelles anomalies". EDF mise sur un plan de rénovation de son parc (le "Grand carénage") de 48 milliards d'euros pour prolonger la durée de vie de ses centrales. Se pose également la question de la gestion des déchets radioactifs en cas de prolongation, ajoute la porte-parole de RSN.
L'enjeu : sauvegarder la filière nucléaire ?
Les deux scénarios misent sur des exportations d'électricité chez nos voisins européens pour évacuer le surplus de production nucléaire. "D'un coup, nait le mythe de la France qui va décarboner l'Europe, analyse Anne Bringault. Mais cela se base sur l'hypothèse que les autres pays vont mettre en place une taxe carbone et sur l'acceptabilité du nucléaire par les citoyens et les pays voisins".
La visite du Président de la République en Inde, et les annonces de vente de six EPR, interrogent également les associations. "C'est quoi la priorité du gouvernement ? Faire la transition énergétique ou sauvegarder la filière nucléaire ?", questionne Alix Mazounie.